jeudi 22 mars 2012

Deux leçons d'humanité


    Je voudrais aujourd'hui faire écho à deux moments de grande humanité qui m'ont beaucoup impressionnée. Le premier, c'est le témoignage de l'un des sauveteurs suisses, arrivé parmi les premiers sur le lieu du terrible accident de car où 22 enfants et leurs accompagnateurs ont perdu la vie. Ce sauveteur disait à la radio : "Nous, dans le Valais, nous ne parlons pas le flamand. On ne savait pas comment s'adresser aux enfants encore en vie qui criaient, pleuraient. Alors, je me suis dit : on va faire comme dans une famille. On a pris la main de ces enfants et on les regardait, on leur parlait avec nos yeux, on essayait de les rassurer, de leur faire comprendre qu'on allait les aider très vite, comme leur parents auraient fait."
   

   Le second témoignage d'humanité, il m'a été offert par une jeune française de 17 ans, Alma Adilon Lonardoni, qui a remporté le tournoi de plaidoiries organisé par le Mémorial de la Paix à Caen. Pendant dix minutes, sans une seule note, devant un auditoire plein, elle a évoqué le sort des personnes âgées abandonnées en maisons de retraite. Elle l'a fait à partir d'une expérience saisissante : la rencontre avec – je cite – "trois vieilles femmes recroquevillées dans leur fauteuil et une chaise roulante. Une chaise roulante vide, à un détail près : deux prothèses de jambes gisaient à ses pieds, revêtus de bas de laine. Le fauteuil d'une résidente morte deux jours avant. L'empreinte de la mort disposée nonchalamment au milieu de trois vieilles femmes…Ils ne se rendent pas compte, vous savez, ils sont vieux", lui dit une aide-soignante. Et parce qu'elle ne peut consentir à ce déni de simple reconnaissance, la jeune fille tisse un plaidoyer d'une humanité, d'une sensibilité tout simplement confondantes.
   
   Des gestes pour pallier les mots qui manquent, des mots pour pallier des gestes absents : le sauveteur suisse et la lycéenne française nous ont donné, sans le savoir, une grande leçon d'humanité, une des plus grandes qui soient. Car le malheur, ou l'abandon, ou la déréliction, quand ils surviennent, sont comme redoublés par l'absence. Lorsqu'on souffre, l'absence la plus cruelle, ce n'est peut-être pas lorsqu'il n'y a personne ; c'est lorsque l'autre est physiquement présent – mais qu'il est comme absent, pas concerné, indifférent, aveugle ou sourd. Quelqu'un est là, mais c'est en réalité – personne. C'est le médecin qui pose un acte technique irréprochable, mais devant qui vous vous sentez transparent, réduit à l'état d'objet ; c'est cette aide-soignante dont parle Alma Adilon qui, en toute bonne foi, considère qu'un vieux, ça ne se rend compte de rien, qu'une prothèse abandonnée là ne signifie rien…

   Ce dont nous parlent le sauveteur valaisan et la jeune lyonnaise, c'est de la mort physique, de la souffrance, de l'angoisse, oui. Mais c'est aussi du pouvoir que nous avons, nous les humains, avons de ne pas nous faire complices de la mort en y ajoutant le poids de l'indifférence ou de la pseudo-efficacité. Il n'y a de vie que par et dans la relation, dans et par la présence. Et peu importent les voies que celle-ci emprunte : le geste, le regard, la parole – être là, être avec, cela seul importe.
   
   Conviction banale ? Essayons de la concrétiser en toute situation ! Nous en reparlerons…