dimanche 6 septembre 2015

Question de courage !

    Ce que les romains appelaient la "virtus", ce n'est pas (comme on pourrait spontanément l'imaginer), la vertu, au sens restreint et assez souvent moralisant où nous l'entendons. C'était cependant une qualité, la première de toutes même, celle que devait posséder tout homme digne de ce nom. Tout homme, oui, c'est-à-dire tout mâle : on pourrait dire que la virtus, c'était le signe de sa virilité (les deux mots ont la même origine). Pas de sous-entendus égrillards : la virtus, c'est la force, mais aussi  la capacité de supporter et de traverser toutes les épreuves de l'existence et cela, d'un cœur aussi égal que possible. Appelons ça très simplement : le courage. En ce sens, la virtus est bien... une vertu! Cette vertu a traversé les siècles sans rien perdre de son aura. On a chanté, honoré, magnifié le courage des soldats au feu, celui des résistants et des opposants, mais aussi le courage des mineurs, des sidérurgistes, et même celui des femmes capables de mettre au monde et d'élever, parfois seules, une lignée de marmots. Etre courageux devant les épreuves, prendre son courage à deux mains et avancer : tel est le fruit de l' "encouragement", ce trésor qui consiste à  fortifier un être humain, à le révéler à lui-même plus grand qu'il ne le pense. A lui permettre d'oser prendre des risques.

    Si elle s'est puissamment enracinée en Occident, la virtus semble aujourd'hui avoir pris la route de la mondialisation. Quel courage ne faut-il pas à ces hommes, ces femmes, ces enfants pour quitter leur pays, s'embarquer dans des conditions telles qu'ils risquent bien d'y laisser leur vie ! On dira : c'est qu'ils estimaient que chez eux, leur vie ne valait plus rien ; c'est possible, mais ils auraient alors tout aussi bien pu se coucher et attendre la mort, ou tenir un discours fataliste, du genre : "de toute façon, on ne peut rien faire, c'est triste-mais-que-voulez-vous-qu'on-y-fasse"... Risquer sa vie, parce qu'on croit qu'un avenir est possible, pour soi et surtout ses enfants, tenter le tout pour le tout, même si rien n'est sûr, cela s'appelle du courage. Et que rien ne les arrête, ni les dizaines de milliers de migrants noyés en Méditerranée, ni l'arrivée dans des camps de fortune, ni les murs qui se dressent un peu partout en Europe, cela témoigne de ce courage indestructible qui alimente leur désir de vivre.

    Fameuse leçon de vie, n'est-ce pas ? Car enfin, à peine finit-on de saluer, à juste titre, le courage – bien réel, lui aussi ! – de ces passagers du Thalys qui ont sans doute empêché un bain de sang, voici qu'on nous annonce un renforcement des contrôles de sécurité. Ce serait presque comique si ce n'était consternant. Une fois encore, confrontés à la violence, au "mal" qui toujours rôdent, voici la gouvernance en forme de réaction – ne dit-on pas pourtant que "gouverner, c'est prévoir" ? Comme si, en paralysant les gares à coup de contrôles (on imagine : deux Thalys par heure en période de pointe, sans compter les TGV !), on s'évitait à coup sûr tout risque de croiser un illuminé de la kalachnikov. Va-t-on poster des soldats devant tous les musées, toutes les rédactions de journaux, toutes les entrées d'école, en souvenir des attentats au musée Juif, de Charlie Hebdo et de Toulouse? 
   
  Quel homme, quelle femme politique aura assez de virtus, assez de force d'âme et de courage pour dire ce que nous savons bien, au fond de nous-mêmes : le risque zéro est un fantasme. La violence frappe de préférence où on ne l'attend pas et s'il ne s'agit évidemment pas de s'en accommoder, rêver de s'en préserver complètement peut mener à d'autres formes de déglingue sociale.   Le vrai risque, bien réel, lui, c'est en effet qu'à force de se barricader dans des mesures de sécurité illusoires, notre courage ne finisse par s'étioler et que nous nous retrouvions, devant les coups du sort, tout à fait  démunis, réduits à gesticuler pour éloigner le danger potentiel.


    Et si l'on prenait plutôt exemple sur les courageux passagers du Thalys ? Sur ces hommes et ces femmes qui préfèrent s'en remettre à des passeurs mafieux plutôt que de laisser mourir leurs gosses? Sur ces innombrables êtres humains qui se redressent après avoir été agressés, torturés, violés ? Sur ces journalistes qui combattent, plume à la main, jusqu'à ce qu'on les bâillonne ? Sur nous-mêmes, au final, capables de refuser le pire et d'oser l'affronter, de prendre en main notre devenir et celui du monde ? C'est juste une question de courage.