mardi 28 mars 2017

Dis-moi quel est ton souffle...



Il y a peu, lors d'une interview, l'eurodéputé Philippe Lamberts répondait de manière tout à fait décomplexée aux questions qu'un journaliste lui posait à propos de ses convictions. Chrétien en recherche, explique-t-il, il s'efforce de mette en concordance sa foi et sa vie. Mais qu'on ne se méprenne pas : la foi est pour lui une démarche spirituelle et non un argument de vente ou un étendard identitaire. Voilà les choses clairement posées et une cohérence que l'on ne peut que saluer. Ne reproche-t-on pas tellement souvent à des hommes ou des femmes politiques de ne pas faire ce qu'ils promeuvent et de creuser la distance entre le dire et le faire ? C'est pour s'être lui-même adoubé en champion de l'intégrité que le candidat Fillon se voit aujourd'hui vilipendé…

Mais voilà. Il semblerait que désormais, dans notre petit pays perpétuellement en quête de consensus et d'improbables équilibres, le seul fait de parler publiquement d'une conviction religieuse s'apparente au dévoilement de la honte, à un coming-out provocateur. Tels des poulets affolés par la présence, en leur enclos, d'un canard au plumage différent, des internautes (dont il n'est même pas sûr qu'ils aient lu l'interview dans son intégralité) se déchaînent au nom du principe de la laïcité de l'Etat : J'en tombe de ma chaise ! Réflexion rétrograde et scandaleuse ! Décevant ! Les masques tombent! Moi, je vote pour des raisons, pas pour des croyances… D'autres, heureusement, croyants ou non, gardent leur sang-froid et apportent les nuances bienvenues.

Qu'est-ce donc en effet, sinon un amalgame grossier, que de confondre la recherche spirituelle d'une personne singulière avec une volonté de donner à la religion un rôle actif en politique ? Et depuis quand l'expression de la parole publique, dans un Etat réputé laïc, serait-elle limitée à ce qu'un consensus mou est capable de supporter ? Lorsqu'une radio publique, c'est-à-dire financée par les deniers citoyens, entrelarde ad nauseam les infos du matin de multiples couches de pub, osera-t-on dire qu'elle est parfaitement neutre ? Vanter les mérites d'un "private banker" ou d'une voiture hors de prix, cela relève d'une vision du monde et de la vie qui est tout sauf aseptisée ; qu'on adhère ou non à ce credo économique, l'on est hélas forcés de le supporter tous les jours dès le réveil et il ne semble pas que cela dérange les gardiens d'une "neutralité" aussi floue que le sexe des anges.

Il faudra donc en finir une bonne fois pour toutes avec cette conception de la spiritualité qui la confine à la sphère strictement religieuse - laquelle en effet concerne d'abord la personne privée même si, redisons-le, s'exprimer en tant que personne ne revient pas à incarner une idéologie et encore moins un système ! Mais il est vrai que, pour certaines et certains qui ne partagent pas leur foi, les chrétien-nes sont forcément soumis au Vatican, sont incapables d'avoir une pensée libre et rêvent de remplacer la Constitution par les Dix commandements… Les préjugés sont risibles, mais ils ont la vie dure. L'occasion est belle, alors, de rappeler qu'en latin, le mot "spiritualité" désigne le souffle.  De la même façon que les poumons permettent la respiration vitale, la spiritualité, c'est ce qui donne du souffle à la vie humaine, ce qui lui permet de faire du sens, de nourrir un idéal et une espérance. De vouloir une vie bonne, juste et digne, pour tous les humains. D'être plus grands, en quelque sorte, que ce que nous pensons et que ce que les vendeurs d'illusions s'échinent à nous faire croire. La spiritualité, c'est refuser d'être réduits à l'immédiat et à la matérialité.


En ce sens, il existe beaucoup de chemins spirituels. Y compris un chemin qui ne se revendique d'aucune croyance. Au point que l'écrivain Jean-Claude Bologne put évoquer son expérience de mysticisme athée (ce qui lui valut, à lui aussi, un sévère étrillage de la part d'un laïcisme décidément myope).  La question pourtant est bien celle-ci : est-il possible de porter quelque grand projet que ce soit, y compris politique, sans gonfler ses voiles intérieures à un souffle assez puissant pour penser loin et large ? Adenauer, Mansholt, Monnet Schuman… ces "pères de l'Europe" n'étaient-ils pas habités de ce grand souffle ? A contrario, la frilosité et le désenchantement, cette sorte d'apnée mentale, ne sont-ils pas responsables du marigot dans lequel l'Europe semble aujourd'hui enlisée ? La spiritualité n'est pas une option nécessairement religieuse, c'est un choix d'humanité et ses sources sont nombreuses et diversifiées. Pouvoir nommer sa source propre, pouvoir expliquer d'où vient le souffle qui nous habite, ce n'est pas être prosélyte, encore moins chercher à l'imposer (il fut d'heureux souffles révolutionnaires qui finirent en atroces tyrannies).  C'est tout simplement partager avec d'autres vivants la joie de pouvoir respirer, la joie d'être "inspirés". Le souffle, lui, ne connaît nulle frontière.