vendredi 3 août 2012

La haine ordinaire


Michèle Martin va donc être, selon toute probabilité, accueillie dans la communauté des Clarisses de Malonne, qui m'est chère entre toutes.
            Ce matin, en ouvrant mon profil Facebook, j'y ai vu dégouliner des propos haineux, malsains. Des propos qui m'ont fait mal. Quoi donc ! Je ne communierais pas à l'indignation générale ? J'oserais me tenir en retrait, loin des victimes ?
            Perdre un enfant est la pire chose qui puisse arriver. C'est l'horreur absolue, la vie qui se casse en deux – on ne s'en remet jamais vraiment. Je sais. Il y a douze ans, ma fille aînée de 27 ans est morte, tuée par un chauffard ivre. Elle allait rechercher à la crèche son petit. Je sais ce que d'être désenfantée. Oh, il s'en trouvera certainement pour établir des comparaisons : un accident n'a rien de comparable avec ce qu'on souffert les victimes de Marc Dutroux. C'est vrai, oui. Mais du côté des survivants, il n'y a plus que la communion du malheur. Un bébé de 13 mois orphelin et une famille pulvérisée. La vie d'avant, la vie d'après.
            Et cependant, aujourd'hui je ne puis me taire. Parce que je suis blessée, effrayée de ce que je lis. Blessée et effrayée de ce déferlement de haine viscérale, qui en appelle à des châtiments que l'on dénonce avec indignation lorsqu'ils se passent en Afghanistan ou ailleurs, mais que l'on verrait bien aujourd'hui infligés chez nous. En toute bonne conscience, au nom de la compassion envers les victimes, au mépris des lois qui sont celles de notre pays.
            Oui, cela me donne la nausée. Parce que la haine et le désir de vengeance (je les ai éprouvés, moi aussi) n'apaisent pas la souffrance, ils l'entretiennent comme un vilain feu. La mort d'un enfant est une des plus grandes figures du mal, lorsque des humains en sont responsables. Mais cela n'autorise en rien – cela l'explique, tout au plus – quiconque à s'ériger au-dessus des lois, à refuser à tout être humain, quoi qu'il/elle ait fait, la possibilité d'avoir un avenir.
            Celui de ma fille s'est brisé en quelques secondes, laissant un enfant orphelin et une famille dans la tourmente. Mais j'espère, de tout mon cœur, que l'homme qui a coupé le fil de sa vie est un bon père et est devenu meilleur conducteur. J'espère qu'il a pu construire une vie digne de ce nom.
            La douleur des parents de Julie, Melissa, An, Eefje, celle de Sabine et Laetitia sont incommensurables, irréparables. On ne peut qu'être avec eux, proches d'eux, à leurs côtés. Mais lorsqu'on souffre, ce n'est pas une empathie malsaine et haineuse qui vous tire du gouffre où vous êtes : c'est le silence et la présence. Ce matin, en lisant ce qui avait été déposé sur mon mur Facebook, j'ai eu mal. Comme la brûlure d'une poignée de sel jetée sur une plaie non refermée.