mardi 22 mai 2012

Ecoles et prisons : quand règnent les croyances...

Victor Hugo doit pleurer au fond de sa tombe… Convaincu de ce que l'éducation détermine le destin d'un être humain, il plaidait inlassablement en faveur de l'enseignement. On connaît sa harangue célèbre : "Ouvrez une école, vous fermerez une prison !" En 1834, il s'exclamait : "Quoi ! La Suisse sait lire, la Belgique sait lire, le Danemark sait lire, la Grèce sait lire, l’Irlande sait lire, et la France ne sait pas lire ? C’est une honte." Pauvre cher Hugo…


Osons en effet regarder ce qu'il en est, en notre petit pays qui n'est sans doute pas le plus déshérité de tous. Nos prisons regorgent de détenus et sont montrées du doigt par les défenseurs des droits humains les plus élémentaires. C'est une honte, en effet. Quant à nos écoles, elles consacrent et accentuent les ruptures sociales : les bons élèves – dont la plupart doivent presque tout à leur famille – s'en tirent plutôt bien, tandis qu'une masse grossissante de jeunes échouent, décrochent péniblement un diplôme, voire aucun. Dans le secondaire, près d'un élève sur deux a un an (au moins) de retard; en primaire, un enfant sur cinq a déjà doublé. Et voici qu'on nous annonce que 5% des bouts de chou de maternelle doivent retarder d'un an leur passage en primaire ! Cela aussi, c'est une honte.

Car au fond, depuis le temps de Victor Hugo, les croyances, ces parasites de l'intelligence, n'ont guère changé. Au XIXe  siècle, les braves gens étaient convaincus que les  voleurs l'étaient de nature ; et qu'il fallait s'en protéger en les enfermant, en en exécutant quelques-uns aussi. Quant à l'école, si elle permettait effectivement de monter dans l'échelle sociale, c'était à coup de punitions puisqu'un enfant, par nature, est paresseux et désobéissant.

On aurait pu croire que des décennies de recherches en criminologie, psychologie, pédagogie auraient déraciné ces croyances calamiteuses. Il semblerait que ce ne soit pas le cas et que le "surveiller et punir" de Foucault ait encore de l'avenir.  Cela fait un demi-siècle que s'accumulent les études sérieuses, les recherches scientifiques qui démontrent l'inefficacité des pratiques carcérales et scolaires en vigueur chez nous : l'enfermement, ni même la peine de mort, ne réduisent la violence urbaine ; le redoublement n'a aucun effet bénéfique sur l'apprentissage et la réussite. Sans doute quelques prisonniers s'amendent-ils; sans doute quelques élèves tirent-ils profit d'une année supplémentaire. Mais pour quelques exceptions, combien de gâchis ! La prison, dure école, produit elle-même les "fauves" qui en sortent ; quant aux élèves abonnés au redoublement, ils finissent par quitter le système résignés, dégoutés, sans grande estime pour eux-mêmes, leur avenir incertain.  Mais voilà : que valent des études scientifiques, des preuves… face aux croyances solidement ancrées ?
 
            "Mais que voudriez-vous qu'on fasse avec ces jeunes qui ne veulent pas étudier, avec ces délinquants qui pourrissent notre vie quotidienne ?" Refrain trop connu. La sécurité fait partie des besoins de base de l'être humain. Mais la peur est rarement bonne conseillère : on peut bien installer des portiques détecteurs dans les prisons et des systèmes de reconnaissance digitale à l'entrée des écoles, on peut installer des caméras de surveillance dans les préaux des deux, placer un policier dans chaque bus et un vigile à la grille du collège; on peut bien construire de nouvelles prisons et – pourquoi pas – songer au redoublement des bébés en crèche, tant que l'on n'aura pas regardé en face la violence symbolique (et physique, parfois), qui habite les prisons et tant d'écoles, rien ne changera.

            Quand tout sera enfin "sous contrôle", nous vivrons (peut-être) en sécurité, mais nous n'aurons plus rien à sauver, car nous aurons perdu notre capacité d'assumer le risque, de croire en l'humain envers et contre tout, de vivre ensemble autrement qu'en des rapports de force, de passer un relais d'espoir aux plus jeunes. Tout ça pour des croyances…