mercredi 21 novembre 2012

Petite Poucette


            Elle est assise dans le hall de la gare. Affalée, plutôt, contre un distributeur de boissons – et concentrée à l'extrême. Je devine qu'elle est en train de composer un SMS. Petite Poucette: c'est le surnom affectueux que le vieux philosophe des sciences Michel Serres lui a donné, à elle et aux ados de sa génération, en hommage admiratif à la dextérité dont ils font preuve pour taper, avec leurs pouces des messages sur de minuscules claviers.
            Plus tard, je retrouve Petite Poucette dans le train. Elle a sorti de son sac à dos une tablette électronique. Du bout de ses index, cette fois, elle tapote sur le clavier virtuel, hésite. Son regard me balaie sans me voir, à la recherche d'un mot, d'une idée, puis la voilà qui replonge dans l'écriture.
            Soudain, comme échappée de la tablette de ma jeune voisine, une image vient s'y superposer : je me vois assise avec, sur les genoux, une ardoise. Même format, même poids, une face lignée, l'autre quadrillée. Le cliquetis des touches d'un GSM se confond avec celui des "touches", ces bâtonnets d'ardoise eux aussi, que nous utilisions pour écrire. Malheur à nous si la surface de l'ardoise était trop lisse ou mal essuyée… "A force d'écrire, tu vas voir : ta mémoire va se dessécher comme une vieille éponge !", disait ma grand-mère. En bonne petite Française, elle avait appris par cœur à l'école élémentaire la liste de tous les départements – continent et outremer – ainsi que les préfectures et sous-préfectures afférentes. Sa mémoire, nourrie à l'oral, était un réservoir où s'empilaient pêle-mêle, outre la géographie de l'Hexagone, les chansons de Théodore Botrel et de Tino Rossi, les questions du catéchisme et la recette des tripes à la mode de Caen. Entre autres… Et elle n'avait pas étudié plus loin que l'école primaire ! Sa crainte de voir ma mémoire s'atrophier était à la mesure des efforts qu'elle avait fournis pour forger la sienne.
            Aujourd'hui, l'on entend dire : "A force de ne plus tenir un crayon, bientôt les jeunes ne sauront plus écrire ni même se servir de leurs mains ! A perdre le contact physique avec le papier, c'est une part de leurs sensations qui va disparaître, elle aussi. Apprendre à tracer des lettres, des chiffres, c'est beaucoup plus qu'un geste fonctionnel…" On peut approuver. Mais cette crainte n'est-elle pas voisine de celle qui habitait mon aïeule ? La génération "livre/papier" ne nourrit-elle pas la même méfiance par rapport à un mode d'apprentissage tout à fait inédit pour elle ? Voir se transformer les supports de la pensée que l'on croyait éternels tant ils étaient devenus évidents, ce n'est jamais confortable. Le malaise est sans doute plus profond : si le papier et le crayon sont dépassés, serait-ce que nous le sommes aussi, nous qui les avons adoptés pour compagnons depuis notre âge le plus tendre ? Se pourrait-il que l'on puisse se passer de l'odeur du bloc fraîchement acquis, du poids familier du stylo dans la main, des subtiles nuances de l'encre bleutée ?
Un regard en arrière pourrait cependant nous rassurer quelque peu : le passage de l'oral à l'écrit n'a pas du tout supprimé la nécessité d'exercer la mémoire. L'usage du clavier ne signe donc pas l'arrêt de mort obligé de l'écriture manuelle. Si elle n'est pas aussi hétéroclite que celle de ma grand-mère, ma mémoire n'a cependant jamais démérité, elle est juste devenue plus sélective et accueille d'autres types d'informations. Quant aux mains de Petite Poucette, si elles n'ont pas connu le glissement de la touche sur l'ardoise, elles acquièrent de nouvelles habiletés – qui ne supprimeront jamais tout à fait celles qui les précèdent.
Un arrêt plus loin, Petite Poucette a quitté le wagon. La dernière image que j'ai d'elle : un lumineux sourire au garçon qui l'attendait sur le quai – peut-être l'avait-elle averti de son arrivée par SMS ? Elle a glissé sa main dans la sienne et ils sont partis, serrés l'un contre l'autre. Comment, sauf à renier toute bienveillance, toute confiance, pourrait-on se résoudre à penser qu'entre notre génération et celle qui nous suit il y aura nécessairement perte de qualité? Les cailloux de Petite Poucette tracent un nouveau chemin…

[Cette chronique est parue dans La Libre Belgique du 21/11/2012]

jeudi 27 septembre 2012

Indispensable presse écrite !


Depuis quelques jours, ouvrant mon quotidien favori, je croise le sourire de Julie, qui tient à remercier un belge sur deux de lire le journal. Un belge sur deux !  La nouvelle a de quoi réjouir, même si elle est livrée à l'état brut. J'aimerais en savoir plus : quel type de journal, papier ou numérique, vérifier le chiffre… Au bout d'une heure de recherches, je renonce à trouver les réponses et décide de me réjouir du verre à moitié plein. Oui, c'est vraiment une bonne nouvelle – même si la proportion de mauvaises nouvelles croît avec le nombre de journaux que l'on lit !
Il fut un temps (pas si lointain) où, examinées à la loupe par mes élèves dans les journaux parlés et télévisés de notre service public en parallèle avec ceux de sa concurrente privée, les différences étaient tellement évidentes que le moins dégourdi de mes potaches ne pouvait les louper. Le choix des sujets, leur ordre de présentation et surtout, le temps consacré à les traiter honoraient les missions d'information et de culture. Hommage à René Thierry, qui incarnait ce journalisme de haute volée… Et à ces émissions – "Neuf Millions", de Georges Konen, "L'écran témoin" de Dimitri Balachoff, tant d'autres…– qui furent ma première école de réflexion politique et sociale. Non, je ne verse pas dans une nostalgie passéiste ! Mais franchement : entendre, à 7h du matin, s'entrechoquer des "capsules" de 30 secondes sur le péril couru par les vieux cabillauds pour cause de surpêche, l'éjection d'un entraîneur de foot et un nouveau massacre en Syrie, comme ça, sans ordre, comme s'il s'agissait d'infos d'égale importance, ça ne me donne que deux envies : couper la radio et me lever pour lire le journal. Cela permet aussi de gagner du temps en soirée : les JT ne m'apprendront rien de plus (et même plutôt moins !) que je n'aie déjà lu…

vendredi 3 août 2012

La haine ordinaire


Michèle Martin va donc être, selon toute probabilité, accueillie dans la communauté des Clarisses de Malonne, qui m'est chère entre toutes.
            Ce matin, en ouvrant mon profil Facebook, j'y ai vu dégouliner des propos haineux, malsains. Des propos qui m'ont fait mal. Quoi donc ! Je ne communierais pas à l'indignation générale ? J'oserais me tenir en retrait, loin des victimes ?
            Perdre un enfant est la pire chose qui puisse arriver. C'est l'horreur absolue, la vie qui se casse en deux – on ne s'en remet jamais vraiment. Je sais. Il y a douze ans, ma fille aînée de 27 ans est morte, tuée par un chauffard ivre. Elle allait rechercher à la crèche son petit. Je sais ce que d'être désenfantée. Oh, il s'en trouvera certainement pour établir des comparaisons : un accident n'a rien de comparable avec ce qu'on souffert les victimes de Marc Dutroux. C'est vrai, oui. Mais du côté des survivants, il n'y a plus que la communion du malheur. Un bébé de 13 mois orphelin et une famille pulvérisée. La vie d'avant, la vie d'après.
            Et cependant, aujourd'hui je ne puis me taire. Parce que je suis blessée, effrayée de ce que je lis. Blessée et effrayée de ce déferlement de haine viscérale, qui en appelle à des châtiments que l'on dénonce avec indignation lorsqu'ils se passent en Afghanistan ou ailleurs, mais que l'on verrait bien aujourd'hui infligés chez nous. En toute bonne conscience, au nom de la compassion envers les victimes, au mépris des lois qui sont celles de notre pays.
            Oui, cela me donne la nausée. Parce que la haine et le désir de vengeance (je les ai éprouvés, moi aussi) n'apaisent pas la souffrance, ils l'entretiennent comme un vilain feu. La mort d'un enfant est une des plus grandes figures du mal, lorsque des humains en sont responsables. Mais cela n'autorise en rien – cela l'explique, tout au plus – quiconque à s'ériger au-dessus des lois, à refuser à tout être humain, quoi qu'il/elle ait fait, la possibilité d'avoir un avenir.
            Celui de ma fille s'est brisé en quelques secondes, laissant un enfant orphelin et une famille dans la tourmente. Mais j'espère, de tout mon cœur, que l'homme qui a coupé le fil de sa vie est un bon père et est devenu meilleur conducteur. J'espère qu'il a pu construire une vie digne de ce nom.
            La douleur des parents de Julie, Melissa, An, Eefje, celle de Sabine et Laetitia sont incommensurables, irréparables. On ne peut qu'être avec eux, proches d'eux, à leurs côtés. Mais lorsqu'on souffre, ce n'est pas une empathie malsaine et haineuse qui vous tire du gouffre où vous êtes : c'est le silence et la présence. Ce matin, en lisant ce qui avait été déposé sur mon mur Facebook, j'ai eu mal. Comme la brûlure d'une poignée de sel jetée sur une plaie non refermée. 

mardi 22 mai 2012

Ecoles et prisons : quand règnent les croyances...

Victor Hugo doit pleurer au fond de sa tombe… Convaincu de ce que l'éducation détermine le destin d'un être humain, il plaidait inlassablement en faveur de l'enseignement. On connaît sa harangue célèbre : "Ouvrez une école, vous fermerez une prison !" En 1834, il s'exclamait : "Quoi ! La Suisse sait lire, la Belgique sait lire, le Danemark sait lire, la Grèce sait lire, l’Irlande sait lire, et la France ne sait pas lire ? C’est une honte." Pauvre cher Hugo…


Osons en effet regarder ce qu'il en est, en notre petit pays qui n'est sans doute pas le plus déshérité de tous. Nos prisons regorgent de détenus et sont montrées du doigt par les défenseurs des droits humains les plus élémentaires. C'est une honte, en effet. Quant à nos écoles, elles consacrent et accentuent les ruptures sociales : les bons élèves – dont la plupart doivent presque tout à leur famille – s'en tirent plutôt bien, tandis qu'une masse grossissante de jeunes échouent, décrochent péniblement un diplôme, voire aucun. Dans le secondaire, près d'un élève sur deux a un an (au moins) de retard; en primaire, un enfant sur cinq a déjà doublé. Et voici qu'on nous annonce que 5% des bouts de chou de maternelle doivent retarder d'un an leur passage en primaire ! Cela aussi, c'est une honte.

Car au fond, depuis le temps de Victor Hugo, les croyances, ces parasites de l'intelligence, n'ont guère changé. Au XIXe  siècle, les braves gens étaient convaincus que les  voleurs l'étaient de nature ; et qu'il fallait s'en protéger en les enfermant, en en exécutant quelques-uns aussi. Quant à l'école, si elle permettait effectivement de monter dans l'échelle sociale, c'était à coup de punitions puisqu'un enfant, par nature, est paresseux et désobéissant.

On aurait pu croire que des décennies de recherches en criminologie, psychologie, pédagogie auraient déraciné ces croyances calamiteuses. Il semblerait que ce ne soit pas le cas et que le "surveiller et punir" de Foucault ait encore de l'avenir.  Cela fait un demi-siècle que s'accumulent les études sérieuses, les recherches scientifiques qui démontrent l'inefficacité des pratiques carcérales et scolaires en vigueur chez nous : l'enfermement, ni même la peine de mort, ne réduisent la violence urbaine ; le redoublement n'a aucun effet bénéfique sur l'apprentissage et la réussite. Sans doute quelques prisonniers s'amendent-ils; sans doute quelques élèves tirent-ils profit d'une année supplémentaire. Mais pour quelques exceptions, combien de gâchis ! La prison, dure école, produit elle-même les "fauves" qui en sortent ; quant aux élèves abonnés au redoublement, ils finissent par quitter le système résignés, dégoutés, sans grande estime pour eux-mêmes, leur avenir incertain.  Mais voilà : que valent des études scientifiques, des preuves… face aux croyances solidement ancrées ?
 
            "Mais que voudriez-vous qu'on fasse avec ces jeunes qui ne veulent pas étudier, avec ces délinquants qui pourrissent notre vie quotidienne ?" Refrain trop connu. La sécurité fait partie des besoins de base de l'être humain. Mais la peur est rarement bonne conseillère : on peut bien installer des portiques détecteurs dans les prisons et des systèmes de reconnaissance digitale à l'entrée des écoles, on peut installer des caméras de surveillance dans les préaux des deux, placer un policier dans chaque bus et un vigile à la grille du collège; on peut bien construire de nouvelles prisons et – pourquoi pas – songer au redoublement des bébés en crèche, tant que l'on n'aura pas regardé en face la violence symbolique (et physique, parfois), qui habite les prisons et tant d'écoles, rien ne changera.

            Quand tout sera enfin "sous contrôle", nous vivrons (peut-être) en sécurité, mais nous n'aurons plus rien à sauver, car nous aurons perdu notre capacité d'assumer le risque, de croire en l'humain envers et contre tout, de vivre ensemble autrement qu'en des rapports de force, de passer un relais d'espoir aux plus jeunes. Tout ça pour des croyances…


vendredi 11 mai 2012

C'est gratuit...


  Il y a quelques semaines, les médias ont annoncé l'ouverture probable, en septembre, d'une école secondaire privée à Bruxelles. Ce n'est pas la première et ce ne sera sans doute pas la dernière.

    Cette initiative-ci pose cependant pas mal des questions.  Notamment en termes de critères de sélection du public. Dans le cas présent, il est très simple: c'est l'argent. Le coût de l'inscription est en effet de 13 000 € l'année ! Bien sûr, les enfants dont la famille ne pourrait assumer un tel coût pourront, après concours, obtenir une bourse d'étude. Mais celle-ci ne couvrira qu'une partie des frais. Le site web de l'école précise : "Il n'est pas question de parvenir à la gratuité, d'adopter une politique privilégiant le 'bon marché', qui dévaloriserait l'excellence des professeurs et de l'école". On ne saurait être on ne peut plus clair…

    Dans ma précédente chronique, j'évoquais un postulat de la logique marchande: ce qui est rare est cher. En voici un second : ce qui est cher est de qualité. On peut en effet l'espérer ! (quoi que ce ne soit pas une règle absolue). Mais déduire de cette proposition son contraire, à savoir que ce qui est gratuit est forcément signe de médiocrité : il y a là un raccourci non seulement douteux sur le plan de la pensée, mais humainement irrecevable.

      Car cela revient à dire que seules les personnes vraiment riches pourraient avoir accès à des biens et des services de qualité. Cela me fait penser à cette pub télé pour une marque automobile, où l'on voit un couple enthousiasmé par l'essai d'un véhicule, mais renonçant à l'acheter compte tenu de son prix : trop bon marché pour être de son standing…  Acheter bon marché, il faut vraiment y être contraint !


     Mais surtout, surtout, juger qu'un service gratuit en dévalorise l'excellence, c'est faire affront à tous ces enseignants qui, au quotidien, offrent le meilleur à chacun de leurs élèves, sans exception et les mènent aussi loin qu'il est possible.

     C'est faire affront aussi à ces millions d'hommes et de femmes qui, en ce moment et partout dans le monde, donnent gratuitement de leur temps et de leur personne: pour accompagner, alphabétiser, écouter, réconforter; pour prendre soin de ce qu'il y a de plus humain en l'humain. Un papy va raconter des histoires à des petits en maternelle ; une mère de famille tient une permanence téléphonique à SOS-suicide ; des jeunes partent en Afrique pour aider à construire une école ; un ingénieur indien apprend à des femmes intouchables à éclairer leur village par énergie solaire ; une gynécologue africaine crée une structure d'accueil pour les femmes victimes de violences sexuelles… Tout cela, gratuit ! Et ce serait donc forcément de l'aide à la petite semaine? Des services à l'excellence douteuse ? J'hésite entre la colère et le grand rire…

     Certains ont décidément besoin d'avoir pour se sentir exister. C'est aussi vieux que le monde, je crois. Mais quoi qu'on dise et qu'on fasse, ce qui ne disparaît pas non plus, c'est cette humble et extraordinaire richesse humaine faite de solidarité et de justice. Le "lait de la tendresse humaine", comme disait Shakespeare. Ce lait est gratuit et tellement nourrissant… S'il venait à manquer, c'est toute l'humanité – riches et pauvres sans distinction – qui mourrait de faim !

jeudi 3 mai 2012

Silence...


   Ce qui est rare est cher. Plus un bien se raréfie, plus sa valeur marchande augmente. C'est bien ce que nous disent les marchés – justifiant, par l même occasion, l'augmentation de nos factures de chauffage. La logique marchande est purement quantitative.
  
   Mais par rapport à la diminution des ressources naturelles, les défenseurs de l'écologie diront la même chose. A une nuance, une grosse nuance près : ce qui est rare est précieux, et doit être préservé. La valeur, dans ce cas, est avant tout qualitative. Tout ce qui participe à la qualité de la vie, tout ce qui peut assurer une vie bonne à tout humain et à tous les humains (sans oublier les animaux et la nature !), cela est précieux. C'est-à-dire que cela a un prix, mais un prix qu'on ne peut pas calculer, qu'on ne peut pas monnayer.  Un air pur, de l'eau potable, un logement agréable, c'est tout à fait essentiel – mais ça n'a vraiment pas de prix.

   A côté du PIB (produit intérieur brut), peut-être pourrait-on prendre en compte les IVB : les indices de vie bonne…

   Parmi ces indices de vie, je placerais un bien devenu si rare qu'on pourrait le croire en voie d'extinction. Un bien si rare que nulle fortune ne saurait l'acheter. Un bien qui, paradoxalement, ne semble pourtant plus guère intéresser grand monde dans nos sociétés dites développées. Je veux parler du – silence. Le vrai silence, celui que l'on peut encore trouver au désert. Ou dans certaines églises. Ou même chez soi, portes et fenêtres fermées.
   
   Le silence : quel repos ! Repos pour le corps, repos pour le cœur...
   
   Le silence provoque paraît-il chez les jeunes, et chez de plus en plus d'adultes,  un malaise, voire de l'angoisse. Normal : on n'y est plus habitués ; c'est le bruit qui est omniprésent. En fond sonore dans les ascenseurs, les parkings, les rues commerciales, au supermarché et dans la salle d'attente du dentiste; en basse continue dans la proximité des autoroutes ; ajoutons-y les bavardages chroniques dans les salles de classe, que la voix du prof tente de couvrir ; et même, même, certains offices où l'écoute de la parole doit se frayer un chemin entre deux cantiques, une pièce d'orgue et quelques témoignages.

   Le silence est comme un berceau, comme une attente. Car c'est en lui seul que peut  naître soudain la musique, un chant d'oiseau, le bruissement d'une feuille ou d'un campagnol, la parole qui fait vivre. C'est en s'immergeant en lui que l'on peut, parfois, percevoir l'écho ténu de ce qui chante ou pleure tout au fond de nous-mêmes.

   Le silence nous déplace, nous recentre ; il aiguise nos sens, nous donne accès à des dimensions que recouvrent les chapes de bruits, les flots de paroles.
Il me semble que si chaque être humain sans exception s'offrait, chaque jour, le trésor inouï de cinq minutes de silence, la vie et le monde s'en trouveraient transformés.

   Et maintenant, je me tais…

jeudi 22 mars 2012

Deux leçons d'humanité


    Je voudrais aujourd'hui faire écho à deux moments de grande humanité qui m'ont beaucoup impressionnée. Le premier, c'est le témoignage de l'un des sauveteurs suisses, arrivé parmi les premiers sur le lieu du terrible accident de car où 22 enfants et leurs accompagnateurs ont perdu la vie. Ce sauveteur disait à la radio : "Nous, dans le Valais, nous ne parlons pas le flamand. On ne savait pas comment s'adresser aux enfants encore en vie qui criaient, pleuraient. Alors, je me suis dit : on va faire comme dans une famille. On a pris la main de ces enfants et on les regardait, on leur parlait avec nos yeux, on essayait de les rassurer, de leur faire comprendre qu'on allait les aider très vite, comme leur parents auraient fait."
   

jeudi 8 mars 2012

Soins palliatifs !


"Vous pouvez lui sauver la vie !"… "Donnez-lui la chance de connaître sa maman !"… "Sans votre aide, il restera analphabète… Une fois par semaine, au moins, un courrier m'est adressé personnellement – même si nous devons être des milliers à le recevoir. Le plus souvent, l'entête est celle d'une association honorablement connue. Parrainée parfois une VIP, vedette ou ancien ministre. Le poids des mots, le choc des photos : slogan jamais usé. Les récits dramatiques – famine, guerre, exploitation, maladie… - ramènent d'un coup toute la misère d'ici et d'ailleurs ; une misère même pas anonyme puisqu'elle a un prénom, un visage : celui d'un enfant, d'une femme, d'un vieillard qui risquent d'être engloutis par le malheur si je n'ouvre pas mon portefeuille.
            Comment s'accommoder de cela ? De cela et du reste que les médias excellent à orchestrer : Hiver 2012, Télévie, restos du cœur, opérations de solidarité en tous genres ? Qui a dit que l'homme était un loup pour l'homme ? Il suffit de voir combien les citoyens répondent "présents" en masse lorsqu'on fait appel à leur générosité. On a beau vivre dans une société férocement individualiste, on n'a quand même pas des cœurs bétonnés ! Il est vrai que la mobilisation est l'un des plus sûrs moyens de clouer son bec à la culpabilisation, cette épine qui ne manque pas de vous piquer  lorsque vous jetez la lettre d'appel de dons ou feignez d'ignorer les vendeurs d'autocollants à la sortie du supermarché… Un petit geste et hop !, on se sent tout de suite plus léger, plus fraternel, meilleur, quoi.


           

mardi 6 mars 2012

Colloque à l'initiative de Recherche et Vie
samedi 24 mars 2012 
au Centre de Congrès (CEME)
à Charleroi (Dampremy)

   De profonds changements ont marqué depuis 20 ans le domaine de la communication : messageries instantanées, blogs, forums, réseaux sociaux se sont multipliés. Il est désormais possible de joindre en temps réel n'importe qui n’importe où. Cette mutation n'est pas sans incidence sur le devenir humain. La virtualité et la transparence, tellement caractéristiques de cette nouvelle façon de communiquer, ne modifient-elles pas les identités et les relations ? Suffit-il de communiquer en temps réel pour entrer vraiment en communication ? Le but de celle-ci n'est-il pas en définitive d'établir des relations ?  Les nouveaux modes de communication ne laissent-ils pas souvent insatisfaits sur ce plan ?
    Dans ce ce contexte, il est intéressant de s'interroger sur un modèle de communication qui paraît sensiblement différent, celui ce l’Évangile. Le Christ s'y révèle et communique de façon concrète et charnelle, mais aussi dans un retrait et même un certain secret qui ouvrent l'espace de la liberté. Il prend le temps d'une véritable initiation. Et surtout, c'est dans une rencontre que tout se joue...
   Cela ne concerne-t-il pas toute communication si on veut qu'elle soit à hauteur d'humanité ?


PROGRAMME

8h45 :       Accueil - café
9h15 :       Ouverture par Benoît MATHOT
9h30 :       Les réseaux sociaux pour les nuls : brève initiation, par Judith MATHUES (15 ans !)
10h :        Une nouvelle culture de la communication, par Dominique GREINER, rédacteur en chef du         journal La Croix
11h :        Pause
11h30 :    Les identités à l'heure du numérique, par Périne BROTCORNE, Fondation Travail-Université
12h30 :    Repas
14h :       Parler pour ne pas être compris. Quand l'obscurité communique mieux que la clarté, par Dominique COLLIN, dominicain
15h15 :     Table ronde
15h50 :     Mot de conclusion

RENSEIGNEMENTS PRATIQUES

- Inscription par courriel à recherchevie@gmail. com

- PAF : 20 € (collation de midi comprise) à verser au compte 360-0054295-78 de Recherche et Vie, avec la mention du nom donné à l'inscription et "Colloque".


jeudi 16 février 2012

Monsieur Coué, déjà...


   Vous connaissez, j'en suis certaine, la méthode Coué, du nom d'Emile Coué de la Châtaigneraie, pharmacien et psychologue de son état, qui, à la fin du 19e siècle, mit au point une méthode d'autosuggestion.
   Le principe est très simple : toute idée peut se faire réalité. Par exemple, si je pense "guérison", j'ai davantage de chances d'aller mieux que si je rumine mes douleurs. Ce qu'on appelle aujourd'hui la pensée positive se fonde sur ce même principe, finalement aussi vieux que le monde : mieux vaut voir le verre à moitié plein plutôt que le contraire et il n'y a que la foi qui sauve.
   Mais la méthode du bon Monsieur Coué ne vaut – et c'est déjà pas mal ! – que pour la part d'action que nous pouvons avoir sur nous-mêmes. On peut se répéter : il fait beau, il fait bon… Lorsque le gel sévit à -12° comme la semaine dernière, l'efficacité n'est pas assurée. Et lorsque le bateau coule, il ne sert pas à grand-chose de redire en boucle : ce n'est qu'un mauvais moment à passer, tout va redevenir comme avant…

lundi 16 janvier 2012

C'est évident !... Vraiment ?


   L'autre jour, chez le boulanger, la conversation tournait autour de la douceur de la température. "La planète se réchauffe, c'est évident !" disait quelqu'un ; et tout le monde d'approuver : l'une avait entendu les moineaux piailler, chez l'autre, les bourgeons étaient déjà bien visibles sur le lilas. Moi, je me souvenais du mois de janvier il y a un an, dans la même boulangerie que l'on atteignait péniblement à cause de la neige. "Un hiver pareil, c'est pas normal, ça c'est sûr!", disait-on alors.

   Ah ! Les évidences… Ces choses qu'on tient pour vraies sans même qu'on doive les prouver… Nos ancêtres étaient sûrs que la terre était plate et c'est bien l'expérience que l'on peut en avoir : on n'a pas l'impression de dégringoler le long d'un ballon lorsqu'on va en Australie ou en Argentine ! Si nous continuons à dire que le soleil se lève et se couche, c'est bien parce que son mouvement nous paraît plus évident que la rotation de la terre.
   Au 19e siècle, les très sérieux traités de médecine tenaient pour évident le fait que les femmes étaient  inaptes à l'étude, en raison de leur nature et de la finesse de leur peau. Quant aux enfants, il était évident que seuls les châtiments corporels pouvaient leur inculquer les bonnes manières… Même les injustices sociales les plus criantes se trouvaient justifiées par l'évidence : un ouvrier ne pouvait espérer s'émanciper ni une servante, rêver de devenir bourgeoise. Quant aux étrangers, c'étaient des "sauvages" – à peine consentait-on à admettre qu'ils puissent avoir une âme…  

   Du coup, qui mettait en cause ces évidences était tenu pour fou, anarchiste ou (dans le meilleur des cas) doux rêveur. Claudel et sa famille n'hésitèrent pas à interner Camille, géniale sculptrice, mais dont le talent et la vie refusaient obstinément le cadre où la femme était censée se tenir – normalement.

jeudi 5 janvier 2012

Retrouver la folle audace


   Ce vieil ami aime à raconter que lorsqu'il était enfant, sa mère le trouva un jour accroupi dans le salon. Il s'efforçait de placer en équilibre l'un sur l'autre une série de petits cubes en répétant, les dents serrées : "Je veux que ça tient ! Je veux que ça tient !..." Fine mouche, la mère perçut, à travers ce que les grammairiens considèreraient comme une faute, l'expression d'une volonté sans faille – qui, de fait, ne s'est jamais démentie. Une volonté tellement forte qu'elle ne laisse aucune place à l'incertitude.
   C'est la foi qui soulève les montagnes et réveille les morts. 





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