dimanche 10 février 2019

L'avenir marche pour nous




On les disait indifférents. On les disait amortis avant l'âge, accros à leur smartphone et à leur console. On les disait sans curiosité, sans culture, étrangers au sens critique. Tombés dès leur plus jeune âge dans la marmite de la consommation, ils paraissaient être le blé vert levant dans le champ sans cesse grandissant d'une économie devenue toute-puissante. Indifférents à la chose politique autant que religieuse, ils incarnaient, aux yeux de beaucoup, la défaite d'une civilisation européenne fantasmée. Ils et elles, ce sont ces jeunes qui ont pris l'initiative de sortir de l'école une fois par semaine, non pour s'éclater dans un skate-park ou au bistrot, mais pour crier leur désir de vivre leur vie adulte sur une planète sauvée du pire. Ce sont aussi celles et ceux qui se mêlent à leurs parents et grands-parents lorsque ceux-ci décident, eux aussi, de descendre dans la rue.
      
     Les appréciations n'ont évidemment pas manqué : acteurs de désobéissance civile, ont admiré les uns, utopistes ignorants, ont ricané les autres. Tout de suite les grands mots, de part et d'autre… De toutes parts, signes sans doute d'une forme d'étonnement face à la survenue inattendue d'une génération que l'on croyait aphasique, désengagée, repliée sur elle-même. Reproches et moqueries sont aisées: par définition, la jeunesse, peu ou mal aguerrie, pas encore étrillée par la rude et difficile réalité du vivre ensemble, a une vision simple (mais pas forcément simpliste) du réel. Quand les grands-parents de ces ados, en 68, écrivaient sur les murs "Sous les pavés, la plage !" ou "Il est interdit d'interdire", ils affirmaient le maximum, obscurément conscients qu'il est des situations où, si l'on veut faire un vrai pas, mieux vaut avoir le désir de faire le tour du monde !
      
     C'est bien ce que font aujourd'hui ces jeunes – certes pas tous, mais cela aussi, c'est une constante en temps de crise, tout comme chez les adultes d'ailleurs. Reste qu'il est pathétiquement navrant de se boucher les oreilles lorsqu'une partie de la jeunesse fait entendre sa voix, tout comme de ne voir en elle qu'une opportunité inespérée de se refaire une virginité électorale ! Car contrairement aux idées reçues, beaucoup de ces "jeunes pour le climat" retrouvent le sens du collectif et du bien commun ; ils sont engagés dans les mouvements de jeunesse, dans les associations d'aide aux migrants, dans des projets multiculturels. Leur avenir, ils ne le dessinent pas forcément en forme de Monopoly. Ils ont même… des idéaux, ce souffle que d'aucuns pensaient définitivement épuisé et inutile. A leur manière dramatique, les jeunes partis rejoindre des combats qu'ils pensaient humanitaires et qui y ont laissé leurs illusions et/ou leur vie, poursuivaient eux aussi un idéal, certes dévoyé mais – le redira-t-on jamais assez – la jeunesse est démunie devant le fonctionnement retors de bien des adultes. Parce ses aînés ont confondu idéal avec croissance illimitée, progrès humain avec développement technologique, être et avoir, la machine s'est emballée: toujours plus, toujours plus vite. Et nous voici comme l'apprenti sorcier, dépassés, inquiets, tentant de colmater les brèches multiples d'une digue qui risque bien de céder un jour ou l'autre. Pendant ce temps, d'autres continuent de se voiler la face…
      
     On connaît la figure des trois singes qui se cachent les yeux, la bouche et les oreilles. En Orient, ils sont le symbole de la sagesse qui ne veut voir, dire, ni entendre le Mal. Mais lorsque sur Facebook on les affuble d'un quatrième larron rivé, lui, à son téléphone portable, ils se transforment dramatiquement en un certain miroir de l'époque – et contrairement à ce que beaucoup pensent, cette époque, les jeunes la mettent en cause. À leur façon, qui n'est plus d'écrire des manifestes ou de créer des cercles de réflexion politique. En débranchant la prise des appareils distributeurs de sodas dans leur école avec, sur une feuille : "Prenez votre gourde !" (tiens, les adultes ont-ils remarqué que cet objet revient en force?). En promouvant des "camp zéro déchet". En s'achetant une trottinette électrique pour se déplacer. Et puis, oui, en défilant dans les rues – parce que même s'ils ne sont pas forcément des cracks en histoire, ils savent intuitivement qu'on gagne parfois de beaux combats avec ses pieds.
      
     N'oublions jamais que ce qu'ils défendent, ce n'est pas seulement leur avenir personnel. C'est l'avenir de l'humanité toute entière.