dimanche 20 mars 2011

Un désir affolé


Si nos arrière-petits-enfants veulent comprendre ce qu'était notre époque, ils n'auront qu'à se pencher sur les spots publicitaires qui passent aujourd'hui en boucle : ce sont en effet d'intéressants miroirs de nos désirs et de nos fantasmes. J'y songeais en entendant cette pub pour une marque de voiture: celui qui veut tout, absolument tout et plus encore n'a qu'à venir en nos établissements qui proposent des conditions tellement alléchantes…
Une époque qui veut tout, qui nous invite à tout désirer : ne serait-ce pas une définition assez fidèle de ce qui hante notre quotidien ? Qui veut tout… C'est-à-dire une chose, mais aussi son contraire ! Par exemple : il faut d'urgence préserver l'environnement – mais sans renoncer à avoir toujours plus de voitures ni à prendre l'avion pour aller en vacances.
Oui à la société multiculturelle – à condition que les signes extérieurs de croyance n'apparaissent pas dans les magasins ou dans la rue. Oui à la mixité sociale dans les écoles – mais pas dans celle de mon enfant. Il faut soutenir le développement des pays du Sud – mais cela ne doit faire augmenter le prix des produits et denrées que nous leur achetons. Bref, nous voulons, comme disait ma grand-mère, le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière!
Ce désir affolé, qui veut tout, tout de suite, rappelle celui des enfants, qui se croient tout-puissants, qui sont incapables de supporter les limites et les obstacles comme autant de frustrations. Comme si la vie humaine échappait à l'imprévu, aux accidents, à la fragilité. Ah ! Le risque zéro !... D'accord pour envoyer notre armée au combat – à condition qu'aucun soldat ne meure. D'accord pour le trafic automobile, mais avec l'objectif zéro mort sur la route. D'accord pour le développement du rail, mais à condition qu'aucun déraillement ne se produise… Et quand l'accident, par définition imprévisible, finit tout de même par se produire, eh bien cherchez le coupable !... On comprend que la mort ait mauvaise presse dans nos sociétés : c'est qu'elle finit toujours par arriver, comme un pied de nez à nos fantasmes.
Il serait bon, peut-être, que nous fassions preuve d'humilité… C'est ce que je me disais en écoutant l'empereur du Japon rappeler à ses concitoyens tellement éprouvés qu'il allait, une fois encore, leur falloir "supporter l'insupportable". Et l'insupportable, le peuple japonais est en train de le vivre ! Perdre tout ce que l'on a, perdre les êtres qui vous sont les plus chers, c'est aussi dramatique pour un japonais, une haïtienne, un afghan, une libyenne. Et plutôt que de tout ramener immédiatement à notre petit cercle – la pharmacie du coin possède-t-elle des comprimés d'iode ? les tsunamis sont-ils possibles à Ostende ? – oui, plutôt que d'alimenter nos paniques, peut-être pourrions-nous nous mettre à l'écoute et à l'école de ces populations qui n'en finissent pas de compter leurs morts, de déblayer leurs ruines, mais qui font preuve de tant de dignité et de courage.
Le courage… Serait-ce un mot dépassé, déplacé ? Comme : supporter, assumer, renoncer, mais aussi : tenir, résister, risquer ? "Je n'ai rien d'autre à offrir que du sang, de la peine, des larmes et de la sueur"… Ces mots que Winston Churchill adressait aux anglais en mai 1940 sont restés célèbres. Ce n'est évidemment pas cela que j'appelle de mes vœux ! Mais demeurons humbles, admiratifs devant ces femmes, ces hommes qui, aujourd'hui encore doivent affronter le pire – comme l'ont fait nos parents.
Et puis, si nous n'y prenons pas garde, si nous ne maîtrisons pas nos pulsions, il se pourrait que ce soient à nos petits-enfants et à leurs enfants que soient promis le sang, la sueur et les larmes. Qui d'entre nous pourrait, sans honte, s'y résigner ?