vendredi 29 avril 2016

T'AS QU'A CHOISIR !



     Il y a peu, l'ancienne députée européenne Véronique De Keyser s'inquiétait de la prolifération des discours de haine et de xénophobie. On ne peut que lui donner raison : c'est désormais sans la moindre vergogne que le commerçant du coin, la voisine, le collègue ou la dame assise à côté de vous dans le train font part de leurs aigres états d'âme – que vous n'avez évidemment pas sollicités. Pour donner à leurs propos un oripeau de légitimité, ils ont hélas désormais le choix, de notre ministre de l'intérieur à Donald Trump, en passant par Viktor Orban, Houellebecq, Zemmour, et la clique grandissante des populistes de tous poils. "Donald Trump ? Mais non, il ne déteste pas les étrangers. Il aime tout le monde ! Il aime le peuple !", proclame une de ses fans. On aurait envie de rire, si ça ne faisait pas froid dans le dos... Encore que ce genre de discours a au moins un avantage, si l'on ose utiliser ici ce mot : c'est qu'ils n'avancent pas masqués. Cela ne diminue en rien leur dangerosité, mais l'on se dit qu'avec une bonne éducation au sens critique et aux médias, il n'est pas trop difficile de mettre au jour leurs piètres ficelles et leurs arguments qui sollicitent les affects plutôt que la raison. 

     Mais dans une société où l'apparence est le meilleur des sésames, voici que se donnent à entendre des discours d'autant plus insidieux qu'ils échappent, eux, à ce populisme de bas étage. Ainsi le discours, largement relayé sur les réseaux sociaux, d'une "activiste des droits de l'homme" (c'est ainsi qu'elle se présente), qui a fui l'Iran où elle a connu la férule des  mollahs et qui dresse un réquisitoire virulent contre l'islamisme. Comment ne pas approuver sa dénonciation du terrorisme, de l'instrumentalisation de l'Islam ? Cette femme, qui a dû fuir son pays natal, sait au moins de quoi elle parle... Mais voici qu'au détour de son argumentaire, on lit ceci : "Nous ne pouvons pas nous laisser culpabiliser. Ceux qui citent le racisme et l'exclusion économique comme causes possibles de radicalisation doivent savoir que chacun est responsable de ses choix.". Et pour appuyer sa thèse, elle insiste : "Ce pays donne suffisamment de chances et de possibilités aux gens de toutes les nationalités et de tous les groupes de population pour se construire une vie utile. Même quand on ne travaille pas, on gagne de l'argent."
 
     Autrement dit : si vous êtes sans abri, dans la précarité ou sans emploi, c'est que vous avez fait de mauvais choix. Comme on dit à un élève en difficulté : si tu rates, c'est que tu ne veux pas vraiment réussir... A l'heure où, dans notre pays, près de 16 % de femmes courent le risque de verser dans la pauvreté, où un enfant sur quatre vit en-dessous de ce seuil – ce discours volontariste devrait alerter, lui aussi. Car il n'est pas isolé : régulièrement, des "experts" livrent pour vérité leur vision du monde en forme de lutte où les plus forts l'emportent, par effet de leur seule volonté – de leurs choix éclairés. Avec pour corollaire ceci : il n'est pas nécessaire que la société donne des coups de pouce aux plus fragiles, à celles et ceux qui, dès leur naissance, sont du mauvais côté de la ligne ; il n'est même pas nécessaire de changer quoi que ce soit à l'ordre des choses, puisqu'il suffirait de s'y adapter. En quelque sorte, les droits de la personne se métamorphosent en devoir. A nouveau, cela fait froid dans le dos... Car si ce genre de propos semble échapper à un populisme facile, s'il se donne les apparences de l'argumentation de raison, il n'est en fait qu'une idéologie, c'est-à-dire une construction destinée à justifier ce que l'on tient, de manière subjective, comme vrai. En utilisant, si nécessaire, des bribes de vrai pour faire passer le reste. 

     A force de nous entendre seriner que nous sommes les seuls maîtres d'œuvre de notre vie (ce qui est aussi absurde que de se déclarer pur jouet des circonstances !), on finirait par y croire. Reste qu'au moment de manger la soupe, la question se pose, cruelle et nue : ta cuiller est-elle en or ou en fer blanc ?