samedi 5 janvier 2013

Une année le nez dans les étoiles !


   Exit 2012. Fin du spectacle. Douze mois de représentation où alternent comédies de boulevard, tragédies, meetings, numéros de cirque et même quelques pièces minimalistes où il ne se passe absolument rien. Pourquoi donc cette impression d'avoir été spectatrice-voyeuse obligée, plutôt qu'actrice de cette année écoulée?
   Eh bien, c'est qu'il n'est pas si facile d'échapper au spectacle, à ce qui s'impose à voir ! Caméras et micros s'installent désormais sans vergogne à la place de nos yeux et de nos oreilles : voilà ce qu'il faut voir, voilà ce qu'il faut entendre. Mais le champ d'une caméra, d'un micro est tellement limité… Comme tout le monde, ou presque, j'ai vu l'ouverture des jeux olympiques, la réélection d'Obama, le déferlement de l'ouragan Sandy, les cadavres des guerres ; j'ai entendu les promesses électorales des candidats et les paroles fielleuses échangées le lendemain, et l'incantation mondiale devenue quotidienne : "Donnez-nous aujourd'hui la croissance de demain"… Comment faire autrement que de voir et d'entendre ? On ne peut pas, à longueur d'année, se boucher les yeux et les oreilles. J'ai donc reçu, comme tout le monde, ma ration quotidienne d'événements fragmentés, bruts, déversés sans ordre ni recul. Ma raison est restée sur sa faim – normal : images et sons ne s'adressent pas à elle. Du sentiment : voilà ce qu'il nous faut ! Et sur un clavier bien large, de l'indignation à l'insécurité, de l'apitoiement à l'autosatisfaction. La pensée, quant à elle, n'a plus qu'à se faire slogan (c'est plus simple, plus court et on peut le tweeter) : Plus jamais ça ! Vous êtes formidables ! On ne peut quand même pas tout accepter !.. Et puis, suprême tour de passe-passe, il y a le mot d'ordre : participez ! Donnez votre avis, téléphonez-nous, rejoignez-nous, dites-nous ce que vous pensez. Sur tout et n'importe quoi, histoire de vous faire croire que vous aussi, vous écrivez l'histoire… Un spectacle oui. Et interactif, en plus! De quoi est-ce que je me plains ?

   D'accord, je suis mauvaise (télé)spectatrice, et comme les gosses, j'aime fouiner dans les coulisses, derrière les décors, démonter le jouet, quitter l'itinéraire obligé. Et là, oui, il y a à voir, et à entendre… Et ce n'est plus du spectacle savamment mis en scène par et pour des acteurs qui ne demandent qu'à s'y montrer. Un exemple ? Le super-mega-concert donné à New-York par le gratin des papy-rockers en faveur des sinistrés (américains) de l'ouragan Sandy. En soi, un beau geste. Mais qu'en pensent les Haïtiens, qui n'en peuvent plus de subir destruction sur destruction, dans l'indifférence quasi générale ? Pour le savoir, pour découvrir aussi les trésors de générosité et de courage qui se révèlent sur cette île, il faut chercher, visiter des sites web alternatifs, lire, rencontrer des témoins… Une fois sortis du chapiteau où se déroule le grand show, déconnectés les caméras et micros qui nous colonisent, voici que s'offre l'histoire, la vraie, celle qu'écrivent au quotidien des femmes, des hommes de tous âges, toutes conditions, toutes croyances. D'un coup, "la crise" n'est plus la crise, mais des visages de mères grecques ou italiennes noyés de larmes parce qu'elles n'arrivent plus à nourrir leurs enfants. La "croissance" apparaît pour ce qu'elle est : une baudruche pleine de vent où se fait entendre la voix de l'ami Souchon : "On nous fait croire / que le bonheur c'est d'avoir / de l'avoir plein nos armoires / dérision de nous dérisoires"…
   Elle est là, la "foule sentimentale qui a soif d'idéal", partout dans le monde, dans des lieux très humbles ignorés des flashes et des antennes : des paysans qui se battent pour sauver leur terre, des infirmières qui partent en maraude pour prendre soin des sans abri, une religieuse qui vit en roulotte aux côtés des tsiganes, des jeunes qui organisent dans leur école une pause-café en faveur des pays du Sud, un prof retraité qui s'en va soutenir une école au Mali. Et des journalistes, des écrivains, des syndicalistes, des blogueurs qui sont en prison parce qu'ils ont dit "non" – et des milliers d'anonymes qui les soutiennent en écrivant aux chefs d'Etat… Ici, les sentiments ne dégoulinent pas, ils portent : la colère contre l'injustice, la tendresse pour ce qui est blessé, l'espérance qui n'est jamais si forte que lorsque le ciel est plombé.
Aujourd'hui et en 2013 aussi, sans doute, le spectacle continue – show must go on ! Mais l'histoire de 2012, la grande, la vraie, c'est ailleurs qu'elle s'est écrite.
   Alors, à vos plumes… et belle année !

[Cette chronique est parue dans La Libre Belgique du 03 janvier 2013]