jeudi 27 septembre 2012

Indispensable presse écrite !


Depuis quelques jours, ouvrant mon quotidien favori, je croise le sourire de Julie, qui tient à remercier un belge sur deux de lire le journal. Un belge sur deux !  La nouvelle a de quoi réjouir, même si elle est livrée à l'état brut. J'aimerais en savoir plus : quel type de journal, papier ou numérique, vérifier le chiffre… Au bout d'une heure de recherches, je renonce à trouver les réponses et décide de me réjouir du verre à moitié plein. Oui, c'est vraiment une bonne nouvelle – même si la proportion de mauvaises nouvelles croît avec le nombre de journaux que l'on lit !
Il fut un temps (pas si lointain) où, examinées à la loupe par mes élèves dans les journaux parlés et télévisés de notre service public en parallèle avec ceux de sa concurrente privée, les différences étaient tellement évidentes que le moins dégourdi de mes potaches ne pouvait les louper. Le choix des sujets, leur ordre de présentation et surtout, le temps consacré à les traiter honoraient les missions d'information et de culture. Hommage à René Thierry, qui incarnait ce journalisme de haute volée… Et à ces émissions – "Neuf Millions", de Georges Konen, "L'écran témoin" de Dimitri Balachoff, tant d'autres…– qui furent ma première école de réflexion politique et sociale. Non, je ne verse pas dans une nostalgie passéiste ! Mais franchement : entendre, à 7h du matin, s'entrechoquer des "capsules" de 30 secondes sur le péril couru par les vieux cabillauds pour cause de surpêche, l'éjection d'un entraîneur de foot et un nouveau massacre en Syrie, comme ça, sans ordre, comme s'il s'agissait d'infos d'égale importance, ça ne me donne que deux envies : couper la radio et me lever pour lire le journal. Cela permet aussi de gagner du temps en soirée : les JT ne m'apprendront rien de plus (et même plutôt moins !) que je n'aie déjà lu…

"Fenêtre ouverte sur le monde" : la définition est bien connue des cruciverbistes – réponse : TV. Désolée, mais c'est à peine une lucarne. Et voir ne garantit nullement de comprendre ! Ouvrir un journal, un magazine hebdomadaire (deux, c'est mieux !), c'est s'offrir un passeport pour tous les pays du monde ; c'est découvrir que des journalistes maliens ou japonais scrutent l'Europe et que leur regard nous déloge ; c'est confronter des points de vue différents sur la crise boursière, les soubresauts afghans ou les élections en Birmanie ; c'est découvrir des romans dont on ne parle pas ailleurs ; c'est s'offrir le plaisir d'analyser, de comprendre, d'être critique. C'est pouvoir relire, une fois, deux fois. C'est prendre le temps…
A cela, d'éminents professionnels des médias rétorqueront que les habitudes du public sont telles qu'il lui faut des plans TV ne dépassant pas 7 secondes, des séquences audiovisuelles les plus courtes possibles et des articles de moins de 3000 signes. Là, on retrouve le bon vieux problème philosophique de l'œuf et de la poule : faut-il faire court parce que le public le veut… ou le public est-il formaté, par des médias vibrionnants, à ne capter que des messages de plus en plus courts ? Question annexe, en passant : nos voisins français auraient-ils une configuration cérébrale différente de la nôtre ? Ils semblent en effet capables de s'intéresser, en plein après-midi, une heure durant, aux sujets scientifiques, politiques ou artistiques proposés par leurs radios publiques… Ne soyons pas injuste : notre radio a conservé de belles et intéressantes émissions, mais pourquoi faut-il que la soirée soit bien avancée pour les écouter ?
Non, décidément, rien ne remplace la presse écrite. En ces temps où les médias audiovisuels ont une furieuse tendance à se pipoliser, à titiller l'émotion plutôt que la réflexion, le journal, qu'on le lise en tournant les pages ou en effleurant sa tablette, reste l'un des derniers et meilleurs remparts (avec quelques courageuses revues) contre l'hébétude de la pensée. 

(Cette chronique est parue dans La Libre Belgique du 25/09/2012)