jeudi 16 février 2012

Monsieur Coué, déjà...


   Vous connaissez, j'en suis certaine, la méthode Coué, du nom d'Emile Coué de la Châtaigneraie, pharmacien et psychologue de son état, qui, à la fin du 19e siècle, mit au point une méthode d'autosuggestion.
   Le principe est très simple : toute idée peut se faire réalité. Par exemple, si je pense "guérison", j'ai davantage de chances d'aller mieux que si je rumine mes douleurs. Ce qu'on appelle aujourd'hui la pensée positive se fonde sur ce même principe, finalement aussi vieux que le monde : mieux vaut voir le verre à moitié plein plutôt que le contraire et il n'y a que la foi qui sauve.
   Mais la méthode du bon Monsieur Coué ne vaut – et c'est déjà pas mal ! – que pour la part d'action que nous pouvons avoir sur nous-mêmes. On peut se répéter : il fait beau, il fait bon… Lorsque le gel sévit à -12° comme la semaine dernière, l'efficacité n'est pas assurée. Et lorsque le bateau coule, il ne sert pas à grand-chose de redire en boucle : ce n'est qu'un mauvais moment à passer, tout va redevenir comme avant…

   Pourtant, lorsque j'écoute les discours des hommes et des femmes qui aujourd'hui ont en charge le bien commun – ce qu'on appelle la politique –, je suis perplexe. Cela ressemble presque à une incantation – vous savez : ces formules que l'on dit et redit et ressasse comme si elles allaient finalement créer la réalité. Toutes et tous n'ont qu'un mot à la bouche : la croissance. La croissance : voilà le but à atteindre, le paradis à retrouver, l'idéal indépassable.
   La croissance… Un mot dont on a l'impression que tout le monde sait ce qu'il signifie, un mot facile, un mot clair, un mot plein d'optimisme et d'entrain. Et pourtant… On parle fort à propos de la croissance d'un enfant, d'un arbre, d'un talent. La croissance est alors un processus qualitatif, un mouvement qui exprime la vie qui grandit, s'épanouit, se ramifie… Je ne pense pas que lorsque les cerbères de la dette et les obnubilés du PIB évoquent la croissance, ce soit ce surcroît de vie qu'ils évoquent. Leur croissance, ce serait plutôt : acheter plus, consommer plus, avoir plus, toujours plus.
   Là, du coup, il serait plus approprié de parler de prolifération, ou d'entassement. D'amasser des richesses, comme dit l'évangile – et non de faire croître l'humanité en ce qu'elle a de meilleur, en se fondant sur ses aspirations profondes.  "La rigueur pour que revienne enfin la croissance !" Allez donc dire cela à ces mères grecques qui élèvent seules un enfant et qui, le cœur déchiré, le conduisent à l'orphelinat parce qu'elles n'ont plus de quoi le nourrir. Allez donc dire cela à celles et ceux qui, chez nous,  perdent leur emploi au nom de la sacro-sainte compétitivité.
   Je ne suis pas réaliste ? Tant mieux ! Je ne suis pas pragmatique ? Pourvu que ça dure…
   Car le réalisme, ce n'est plus, je crois, de vouloir revenir un système – celui de la croissance à tout prix – qui nous a conduits là où nous sommes. Le réalisme, ce n'est pas de répéter mille fois une chose douteuse dans l'espoir qu'à la 1001e fois, elle devienne vraie.
   Le réalisme, c'est peut-être d'avoir le courage de regarder en face sa maladie – et notre société est malade – et de trouver, chacune, chacun et ensemble, la force de penser : un autre mode de vie est possible, un autre mode de vie est souhaitable. Monsieur Coué l'a montré : cela peut marcher !