Question : qu'ont en commun Nico, Fatiha, Coline, Sara, Mourad, Lily, Jimmy et Aïcha ? Réponse : ils ont tous 17 ans, tous sont nés en Belgique et vivent dans la même ville wallonne. Mais encore ? Eh bien, c'est à peu près tout. Ils n'habitent pas dans le même quartier, ne fréquentent pas la même école, n'ont pas les mêmes loisirs ni les mêmes goûts. Certains ont des parents divorcés, d'autres non ; Aïcha et Fatiha sont musulmanes, la première porte le hijab, pas la seconde ; Coline se dit athée et Sara fête chaque semaine le shabbat en famille ; Nico fréquente un mouvement de jeunesse, Mourad fait du sport et Jimmy traîne dans la rue avec ses potes. Ils et elles habitent dans la banlieue verte, les cités sociales, les appartements urbains. N'ont-ils donc vraiment rien à partager, sinon le port du jean, qui a fini par remplacer le bon vieil uniforme scolaire ? N'ont-ils vraiment aucune ressemblance, sinon cette allure parfois incertaine, cette espèce de fragilité adolescente qui se protège d'une carapace d'autant plus rude ?
Si, ils ont en commun cette chose incontestable
: toutes et tous, et leurs semblables, font partie de cette catégorie sociale
qu'on désigne comme : les jeunes. C'est-à-dire que c'est parmi elles et eux que
se trouve peut-être le/la futur(e) premiè(e) ministre, celui ou celle qui
mettra au point le vaccin contre la maladie d'Alzheimer ou qui sera prix Nobel
de la paix. Parce que l'avenir, c'est eux qui l'habiteront – et souvent (ça
aussi, ils l'ont en commun!), ça leur fait peur. Car c'est elles et eux, et
leurs enfants, qui devront répondre aux questions qui commencent à peine à se
poser, résoudre les problèmes qui ne font que se profiler. Les dérèglements
climatiques, les migrations massives, mais aussi les questions éthiques que
pose l'explosion de la technoscience, ces garçons et ces filles ne pourront
plus les éluder, à coup de colloques et de débats parlementaires, de vœux pieux
et de bonne volonté parfaitement impuissante. Nous nous inquiétons de ce que le
moteur chauffe – elles et eux auront les mains dans le cambouis. Comme tous les
jeunes de toutes les époques, alors qu'ils sont au milieu du gué entre enfance
et âge adulte, ils et elles rêvent d'une vie heureuse, ils rêvent d'une société
où ils pourront prendre place, sur laquelle ils pourront agir. Et comme tous
les jeunes de toutes les époques, ils font l'objet de méfiance : Ils ne croient à rien ! Ils ne pensent qu'à
eux ! Ils passent leur temps devant leur console ou scotchés à leur GSM plutôt
que d'étudier ! Rien ne les intéresse ! Etc. De tels propos sont parfaitement injustes. Ils témoignent
simplement de la difficulté qu'ont les aînés à accepter qu'ils ne sont ni
éternels, ni indispensables ; que lorsque le monde change – et en ce moment, il
est en pleine mutation ! – les enfants qui n'ont rien connu d'autre sont
forcément différents de la génération précédente. Certains savoirs et aptitudes
se sont perdus, d'autres les ont remplacés, qui ne valent pas moins.
Mais la question fondamentale se situe en
amont : si la diversité est une richesse, pour porter et améliorer la vie en commun
– ce que l'on appelle la citoyenneté
– il
faut un sentiment d'appartenance. Il faut, au quotidien, se sentir non
seulement individu (ça, c'est acquis, avec même quelque boursouflure !), mais
aussi se sentir membre d'une communauté... mais laquelle ? La patrie ne fait
plus recette, la région pas davantage, l'Europe aurait pu être rassembleuse si
elle ne s'était enlisée dans le delta de la finance et du réglementarisme.
Alors quoi ? Quelles valeurs partagent Sara, Jimmy et les autres, à l'heure où
l'on ne cesse de multiplier les compartimentages entre autochtones et émigrés,
entre croyants (avec ici des sous-sections à n'en plus finir !) et
non-croyants, entre métiers manuels et intellectuels, entre actifs et assistés,
entre jeunes et vieux ? Et ce ne sont pas quelques heures de cours, si généreux
soient-ils, qui viendront à bout de ces murs invisibles que l'on est en train
d'élever. Depuis Berlin, Hébron et quelques autres lieux, on sait combien il
est plus facile d'élever des barrières que d'en supprimer la malfaisance...
Il n'est pas trop tard pour donner à Nico,
Aïcha et leurs congénères de quoi nourrir leurs rêves d'un monde relié,
pacifié, vraiment humain. Mais il n'y a plus de temps à perdre.