Michèle
Martin va donc être, selon toute probabilité, accueillie dans la communauté des
Clarisses de Malonne, qui m'est chère entre toutes.
Ce matin, en ouvrant mon profil
Facebook, j'y ai vu dégouliner des propos haineux, malsains. Des propos qui
m'ont fait mal. Quoi donc ! Je ne communierais pas à l'indignation générale ?
J'oserais me tenir en retrait, loin des victimes ?
Perdre un enfant est la pire chose
qui puisse arriver. C'est l'horreur absolue, la vie qui se casse en deux – on
ne s'en remet jamais vraiment. Je sais. Il y a douze ans, ma fille aînée de 27
ans est morte, tuée par un chauffard ivre. Elle allait rechercher à la crèche
son petit. Je sais ce que d'être désenfantée. Oh, il s'en trouvera certainement
pour établir des comparaisons : un accident n'a rien de comparable avec ce
qu'on souffert les victimes de Marc Dutroux. C'est vrai, oui. Mais du côté des
survivants, il n'y a plus que la communion du malheur. Un bébé de 13 mois
orphelin et une famille pulvérisée. La vie d'avant, la vie d'après.
Et cependant, aujourd'hui je ne puis
me taire. Parce que je suis blessée, effrayée de ce que je lis. Blessée et
effrayée de ce déferlement de haine viscérale, qui en appelle à des châtiments
que l'on dénonce avec indignation lorsqu'ils se passent en Afghanistan ou
ailleurs, mais que l'on verrait bien aujourd'hui infligés chez nous. En toute
bonne conscience, au nom de la compassion envers les victimes, au mépris des
lois qui sont celles de notre pays.
Oui, cela me donne la nausée. Parce
que la haine et le désir de vengeance (je les ai éprouvés, moi aussi)
n'apaisent pas la souffrance, ils l'entretiennent comme un vilain feu. La mort
d'un enfant est une des plus grandes figures du mal, lorsque des humains en
sont responsables. Mais cela n'autorise en rien – cela l'explique, tout au plus
– quiconque à s'ériger au-dessus des lois, à refuser à tout être humain, quoi
qu'il/elle ait fait, la possibilité d'avoir un avenir.
Celui de ma fille s'est brisé en
quelques secondes, laissant un enfant orphelin et une famille dans la
tourmente. Mais j'espère, de tout mon cœur, que l'homme qui a coupé le fil de
sa vie est un bon père et est devenu meilleur conducteur. J'espère qu'il a pu
construire une vie digne de ce nom.
La douleur des parents de Julie,
Melissa, An, Eefje, celle de Sabine et Laetitia sont incommensurables,
irréparables. On ne peut qu'être avec eux, proches d'eux, à leurs côtés. Mais
lorsqu'on souffre, ce n'est pas une empathie malsaine et haineuse qui vous tire
du gouffre où vous êtes : c'est le silence et la présence. Ce matin, en lisant
ce qui avait été déposé sur mon mur Facebook, j'ai eu mal. Comme la brûlure
d'une poignée de sel jetée sur une plaie non refermée.