Depuis quelques jours, ouvrant mon quotidien
favori, je croise le sourire de Julie, qui tient à remercier un belge sur deux
de lire le journal. Un belge sur deux ! La
nouvelle a de quoi réjouir, même si elle est livrée à l'état brut. J'aimerais
en savoir plus : quel type de journal, papier ou numérique, vérifier le
chiffre… Au bout d'une heure de recherches, je renonce à trouver les réponses
et décide de me réjouir du verre à moitié plein. Oui, c'est vraiment une bonne
nouvelle – même si la proportion de mauvaises nouvelles croît avec le nombre de
journaux que l'on lit !
Il fut un temps (pas si lointain) où,
examinées à la loupe par mes élèves dans les journaux parlés et télévisés de
notre service public en parallèle avec ceux de sa concurrente privée, les
différences étaient tellement évidentes que le moins dégourdi de mes potaches
ne pouvait les louper. Le choix des sujets, leur ordre de présentation et
surtout, le temps consacré à les traiter honoraient les missions d'information
et de culture. Hommage à René Thierry, qui incarnait ce journalisme de haute
volée… Et à ces émissions – "Neuf Millions", de Georges Konen, "L'écran
témoin" de Dimitri Balachoff, tant d'autres…– qui furent ma première école
de réflexion politique et sociale. Non, je ne verse pas dans une nostalgie
passéiste ! Mais franchement : entendre, à 7h du matin, s'entrechoquer des
"capsules" de 30 secondes sur le péril couru par les vieux cabillauds
pour cause de surpêche, l'éjection d'un entraîneur de foot et un nouveau
massacre en Syrie, comme ça, sans ordre, comme s'il s'agissait d'infos d'égale
importance, ça ne me donne que deux envies : couper la radio et me lever pour
lire le journal. Cela permet aussi de gagner du temps en soirée : les JT ne
m'apprendront rien de plus (et même plutôt moins !) que je n'aie déjà lu…
"Fenêtre ouverte sur le monde" : la
définition est bien connue des cruciverbistes – réponse : TV. Désolée, mais
c'est à peine une lucarne. Et voir ne garantit nullement de comprendre ! Ouvrir
un journal, un magazine hebdomadaire (deux, c'est mieux !), c'est s'offrir un
passeport pour tous les pays du monde ; c'est découvrir que des journalistes
maliens ou japonais scrutent l'Europe et que leur regard nous déloge ; c'est confronter
des points de vue différents sur la crise boursière, les soubresauts afghans ou
les élections en Birmanie ; c'est découvrir des romans dont on ne parle pas
ailleurs ; c'est s'offrir le plaisir d'analyser, de comprendre, d'être
critique. C'est pouvoir relire, une fois, deux fois. C'est prendre le temps…
A cela, d'éminents professionnels des médias
rétorqueront que les habitudes du public sont telles qu'il lui faut des plans
TV ne dépassant pas 7 secondes, des séquences audiovisuelles les plus courtes
possibles et des articles de moins de 3000 signes. Là, on retrouve le bon vieux
problème philosophique de l'œuf et de la poule : faut-il faire court parce que
le public le veut… ou le public est-il formaté, par des médias vibrionnants, à
ne capter que des messages de plus en plus courts ? Question annexe, en passant
: nos voisins français auraient-ils une configuration cérébrale différente de
la nôtre ? Ils semblent en effet capables de s'intéresser, en plein après-midi,
une heure durant, aux sujets scientifiques, politiques ou artistiques proposés
par leurs radios publiques… Ne soyons pas injuste : notre radio a conservé de
belles et intéressantes émissions, mais pourquoi faut-il que la soirée soit
bien avancée pour les écouter ?
Non, décidément, rien ne remplace la presse
écrite. En ces temps où les médias audiovisuels ont une furieuse tendance à se
pipoliser, à titiller l'émotion plutôt que la réflexion, le journal, qu'on le
lise en tournant les pages ou en effleurant sa tablette, reste l'un des
derniers et meilleurs remparts (avec quelques courageuses revues) contre
l'hébétude de la pensée.
(Cette chronique est parue dans La Libre Belgique du 25/09/2012)