Il
y a quelques semaines, les médias ont annoncé l'ouverture probable, en
septembre, d'une école secondaire privée à Bruxelles. Ce n'est pas la première
et ce ne sera sans doute pas la dernière.
Cette
initiative-ci pose cependant pas mal des questions. Notamment en termes de critères de sélection
du public. Dans le cas présent, il est très simple: c'est l'argent. Le coût de
l'inscription est en effet de 13 000 € l'année ! Bien sûr, les enfants dont la
famille ne pourrait assumer un tel coût pourront, après concours, obtenir une
bourse d'étude. Mais celle-ci ne couvrira qu'une partie des frais. Le site web
de l'école précise : "Il n'est pas
question de parvenir à la gratuité,
d'adopter une politique privilégiant le 'bon marché', qui dévaloriserait
l'excellence des professeurs et de l'école". On ne saurait être on ne
peut plus clair…
Dans
ma précédente chronique, j'évoquais un postulat de la logique marchande: ce
qui est rare est cher. En voici un second : ce qui est cher est de qualité. On
peut en effet l'espérer ! (quoi que ce ne soit pas une règle absolue). Mais
déduire de cette proposition son contraire, à savoir que ce qui est gratuit est
forcément signe de médiocrité : il y a là un raccourci non seulement douteux
sur le plan de la pensée, mais humainement irrecevable.
Car
cela revient à dire que seules les personnes vraiment riches pourraient avoir
accès à des biens et des services de qualité. Cela me fait penser à cette pub
télé pour une marque automobile, où l'on voit un couple enthousiasmé par
l'essai d'un véhicule, mais renonçant à l'acheter compte tenu de son prix :
trop bon marché pour être de son standing…
Acheter bon marché, il faut vraiment y être contraint !
Mais surtout, surtout, juger qu'un service gratuit en dévalorise l'excellence, c'est faire affront à tous ces enseignants qui, au quotidien, offrent le meilleur à chacun de leurs élèves, sans exception et les mènent aussi loin qu'il est possible.
C'est
faire affront aussi à ces millions d'hommes et de femmes qui, en ce moment et
partout dans le monde, donnent gratuitement de leur temps et de leur personne:
pour accompagner, alphabétiser, écouter, réconforter; pour prendre soin de ce
qu'il y a de plus humain en l'humain. Un papy va raconter des histoires à des
petits en maternelle ; une mère de famille tient une permanence téléphonique à
SOS-suicide ; des jeunes partent en Afrique pour aider à construire une école ;
un ingénieur indien apprend à des femmes intouchables à éclairer leur village
par énergie solaire ; une gynécologue africaine crée une structure d'accueil
pour les femmes victimes de violences sexuelles… Tout cela, gratuit ! Et ce
serait donc forcément de l'aide à la petite semaine? Des services à
l'excellence douteuse ? J'hésite entre la colère et le grand rire…
Certains
ont décidément besoin d'avoir pour se sentir exister. C'est aussi vieux que le
monde, je crois. Mais quoi qu'on dise et qu'on fasse, ce qui ne disparaît pas
non plus, c'est cette humble et extraordinaire richesse humaine faite de
solidarité et de justice. Le "lait de la tendresse humaine", comme
disait Shakespeare. Ce lait est gratuit et tellement nourrissant… S'il venait à manquer, c'est toute l'humanité – riches et
pauvres sans distinction – qui mourrait de faim !