Je voudrais
aujourd'hui faire écho à deux moments de grande humanité qui m'ont beaucoup
impressionnée. Le premier, c'est le témoignage de l'un des sauveteurs suisses, arrivé parmi les premiers sur le lieu du terrible accident de car où 22
enfants et leurs accompagnateurs ont perdu la vie. Ce sauveteur disait à la
radio : "Nous, dans le Valais, nous
ne parlons pas le flamand. On ne savait pas comment s'adresser aux enfants
encore en vie qui criaient, pleuraient. Alors, je me suis dit : on va faire
comme dans une famille. On a pris la main de ces enfants et on les regardait,
on leur parlait avec nos yeux, on essayait de les rassurer, de leur faire
comprendre qu'on allait les aider très vite, comme leur parents auraient
fait."
Le second
témoignage d'humanité, il m'a été offert par une jeune française de 17 ans,
Alma Adilon Lonardoni, qui a remporté le tournoi de plaidoiries organisé par le
Mémorial de la Paix à Caen. Pendant dix minutes, sans une seule note, devant un
auditoire plein, elle a évoqué le sort des personnes âgées abandonnées en
maisons de retraite. Elle l'a fait à partir d'une expérience saisissante : la
rencontre avec – je cite – "trois
vieilles femmes recroquevillées dans leur fauteuil et une chaise roulante. Une
chaise roulante vide, à un détail près : deux prothèses de jambes gisaient à
ses pieds, revêtus de bas de laine. Le fauteuil d'une résidente morte deux
jours avant. L'empreinte de la mort disposée nonchalamment au milieu de trois
vieilles femmes…Ils ne se rendent pas compte, vous savez, ils sont vieux",
lui dit une aide-soignante. Et parce qu'elle ne peut consentir à ce déni de
simple reconnaissance, la jeune fille tisse un plaidoyer d'une humanité, d'une
sensibilité tout simplement confondantes.
Des gestes pour
pallier les mots qui manquent, des mots pour pallier des gestes absents : le
sauveteur suisse et la lycéenne française nous ont donné, sans le savoir, une
grande leçon d'humanité, une des plus grandes qui soient. Car le malheur, ou
l'abandon, ou la déréliction, quand ils surviennent, sont comme redoublés par
l'absence. Lorsqu'on souffre,
l'absence la plus cruelle, ce n'est peut-être pas lorsqu'il n'y a personne ;
c'est lorsque l'autre est physiquement présent – mais qu'il est comme absent,
pas concerné, indifférent, aveugle ou sourd. Quelqu'un est là, mais c'est en
réalité – personne. C'est le médecin
qui pose un acte technique irréprochable, mais devant qui vous vous sentez
transparent, réduit à l'état d'objet ; c'est cette aide-soignante dont parle
Alma Adilon qui, en toute bonne foi, considère qu'un vieux, ça ne se rend
compte de rien, qu'une prothèse abandonnée là ne signifie rien…
Ce dont nous
parlent le sauveteur valaisan et la jeune lyonnaise, c'est de la mort physique,
de la souffrance, de l'angoisse, oui. Mais c'est aussi du pouvoir que nous
avons, nous les humains, avons de ne pas nous faire complices de la mort en y
ajoutant le poids de l'indifférence ou de la pseudo-efficacité. Il n'y a de vie
que par et dans la relation, dans et par la présence. Et peu importent les voies que celle-ci emprunte : le
geste, le regard, la parole – être là, être avec, cela seul importe.
Conviction banale ?
Essayons de la concrétiser en toute situation ! Nous en reparlerons…