Inutile de tourner autour du
pot : dans mon entourage familial, immédiat et plus éloigné, ils et elles
ne sont plus très nombreux à se déclarer croyants. Les jeunes (dont la plupart
ont suivi près de 12 ans de cours de religion) ne manifestent aucun intérêt
pour les choses de la foi ; leurs parents ont déserté jusqu’aux
parvis ; quant aux amis de ma génération, ils se partagent entre ceux qui
se sont, eux aussi, éloignés de l’Église et ceux qui se demandent ce qu’ils ont
fait (ou pas) pour que la transmission soit à ce point en panne. Quant à moi,
je vis sereinement le fait d’être la grand-mère qui fait de la théologie comme
d’autres font de l’aquarelle ou de la marche nordique. Sans vraiment
m’inquiéter de ce que les jeunes du Patro ou mes propres petits-enfants
(adultes) ignorent qui est le pape François ou ce que représente l’assomption
de Marie.
C’est que vivre avec les jeunes,
c’est passionnant. Et c’est un objet d’émerveillement quasi quotidien. Dans Petite
Poucette, Michel Serres rendait un hommage jubilatoire et sincère à cette
génération de filles et de garçons nés au moment où le monde a quitté la
modernité pour entrer dans une mutation dont nous n’avons peut-être même pas
encore vraiment conscience, nous qui venons de l’ancien monde. Certes, ils nous
bousculent, ces jeunes, ils nous
délogent et nous n’avons qu’une alternative : ou bien sombrer dans une
déploration, aussi vaine qu’injuste, à propos du niveau qui ne cesse de
baisser, de l’addiction aux écrans et autres modernes turpitudes, ou bien
reconnaître que l’avenir, ce sont eux qui le porteront. Et si l’on
choisit le second terme de l’alternative, il nous faut accompagner leur
angoisse de cet avenir singulièrement menacé… et reconnaître en nos descendants
une lucidité et une maturité qui dépassent, me semble-t-il, celles que nous
avions à leur âge. Oui, ils réinventent tout : les relations amoureuses,
l’école, le travail et cela nous ébouriffe. Mais ce sont de belles personnes et
ils font preuve d’autant de générosité et d’idéal que leurs aînés - une forme désenchantement
en plus. Cela peut se comprendre, vu l’héritage qu’ils devront assumer. Et oui,
la spiritualité, ils connaissent – si l’on rend à ce mot son sens
premier : un souffle que l’on reçoit, qui gonfle les voiles et donne
d’avancer. Les religions n’en ont pas le monopole.
C’est dire si quelques lignes lues dans mon journal préféré
m’ont littéralement giflée. Un séminariste déclare : « Quand
je parle à des amis non croyants, je remarque qu’il manque un sens à leur vie.
Et notre rôle, c’est justement de les ramener à Jésus, pour leur bien. » Ainsi donc, seuls les croyants (catholiques ?)
pourraient faire du sens dans leur vie et le rôle du prêtre serait de ramener
au bercail les brebis égarées. Pour leur bien… Tant d’inconscience et de
sentiment de supériorité laisse sans voix. Qui donc es-tu, frère séminariste,
pour juger, du haut d’un statut que tu n’as même pas encore, la qualité d’une
vie humaine qui ne partage pas tes convictions ? Te rends-tu compte que ce
sont précisément des propos et des positions de cette sorte qui ôtent toute
envie d’en savoir plus sur ce qu’est la foi ? Te souviens-tu que Jésus,
lorsqu’il se faisait proche des gens, se contentait (si je puis dire) d’éveiller
l’étincelle de vie qu’ils portaient en eux et qu’il ne leur demandait pas de se
convertir au judaïsme ? Et ceci encore : lorsque j’étais prof de
religion, il y a 30 ans, figurait déjà dans le manuel dûment approuvé un petit
texte jouissif qui rappelait qu’être croyant ce n’est pas avoir « quelque chose
en plus »… comme on a une verrue sur le nez !
Alors, si l’avenir risque bien de
n’être drôle pour personne, et en particulier pour les jeunes, je souhaite
sincèrement bon courage à ce séminariste. Mais je continuerai à me réjouir tout
aussi sincèrement de constater que décidément, le souffle (l’esprit) souffle où
il veut et que l’on ne sait ni d’où il vient, ni où il va. Simplement, je
perçois en continu sa trace vivifiante à l’œuvre chez tant de mes
contemporains, y compris chez celles et ceux, jeunes ou non, qui n’ont pas besoin d’étiquette pour se mettre au travail.
Myriam TONUS