Je ne suis ni prêtre, ni
religieux. Je n'ai pas fait vœu de chasteté ni d'obéissance. Je n'ai aucune
prétention à la sainteté – entendue comme une sorte de parcours athlétique pour
âmes bien entraînées. J'essaie juste de maintenir vive la petite flamme de la
confiance (étymologie du mot "foi") et de gonfler mes voiles au
souffle (étymologie du mot "spiritualité") qui habite celles et ceux
qui l'accueillent. Et je suis femme. C'est au titre de ces identités
inséparables – féminité, christianité – que je me suis intéressée, depuis plus
de 20 ans, au fonctionnement de l'organisation qu'est l'Eglise catholique. Car
redisons-le : s'il est toujours possible (et légitime) donner un sens
particulier à une réalité factuelle, nier qu'une organisation est d'abord une
affaire humaine, c'est prendre le parti de l'ange, dont Pascal assurait qu'il
risque de nous conduire à faire la bête…
Dans un livre écrit en 2001(*),
je montrais, à travers les discours des mâles qui la dirigent, combien le féminin n'a jamais été véritablement pensé ni, surtout, intégré dans le fonctionnement de l'Eglise. Considérée
jusqu'au Moyen Age comme pécheresse et suppôt du diable, la femme a été
dévalorisée, culpabilisée, minorisée. Puis, à travers la figure de Marie, la
voici privée de son sexe, sublimée en une figure (si peu humaine !) de
vierge-mère. Elle était aux pieds de l'homme, la voici au-dessus, dotée de
"génie", aux dires des papes. Rien de moins ! Habile manière de ne
jamais l'accepter aux côtés de l'homme, tout simplement… Et toujours invitée,
comme par nature, à se réaliser dans la maternité. "Je vois la sainteté du peuple de Dieu dans sa patience : une
femme qui fait grandir ses enfants, un homme qui travaille pour apporter le
pain à la maison", dira le pape François au début de son pontificat.
Bref, rien de nouveau sous le soleil depuis 20 siècles…
Peu de temps après son
élection, François évoqua la nécessité
d'une "théologie du féminin". A quoi de nombreuses femmes, y compris
théologiennes, lui rappelèrent qu'elles avaient entrepris ce travail depuis de
longues années déjà. J'espérais, quant à moi, une théologie du masculin…
laquelle me paraît plus que jamais nécessaire, vu les tempêtes qui n'en
finissent pas de secouer le vieux bateau ecclésial, menacé de finir comme le Titanic.
Mais comme sur le Titanic où, paraît-il, l'orchestre continuait de jouer tandis
qu'il sombrait, il semblerait que pas grand-monde, à l'intérieur de l'Eglise,
ne se préoccupe des causes profondes qui ont mené à la débâcle. Il est question
de dénoncer, de juger, de punir, de défroquer, de prendre des mesures, encore
et encore. Fort bien : la justice et les victimes doivent toujours être
honorées – même la Bible l'affirme ! Mais tant que l'on ne cherche pas à
identifier les racines du mal, jamais on ne pourra l'empêcher de réapparaître.
S'il y a, au sein de l'Eglise catholique, une proportion anormalement élevée
d'homosexuels et de pédophiles, je ne crois pas du tout que ce soit en raison
d'un recrutement sélectif. Mais alors même que les textes qui la fondent posent
d'ouverture que l'homme et la femme sont l'image de Dieu, alors que l'on sait
désormais qu'il y a du masculin en toute femme et du féminin en chaque homme,
les pratiques et, surtout, le fonctionnement psychique des mâles présents dans
l'Eglise refoulent cette part – le féminin – sans laquelle le masculin risque
de sombrer dans la toute-puissance, la peur, la régression infantile, ou les
trois.
Gloser à l'infini à propos du
célibat des prêtres ou de la place des femmes dans l'institution, c'est
astiquer les cuivres sur le pont du Titanic. L'Eglise ce sont des hommes et
femmes avec un corps sexué, avec du désir, avec aussi une Parole qui veut la
vie de cette humanité – une vie bonne, une vie en plénitude. Une vie d'homme ou
de femme, ça se construit à travers des choix, des liens, des embûches, des
doutes. Et non à coup de certitudes, même inspirées par la foi. Et certainement
pas en niant la part d'inconscience, cette folle du logis gardienne de toutes
les peurs, qui se tapit en chacune et chacun d'entre nous. Le féminin a
toujours fait peur et cela n'est pas propre aux religions. Plutôt que de le
piétiner, le sublimer ou le pervertir, une Eglise masculine ferait bien de
regarder sa peur en face. Elle découvrirait peut-être, éberluée, qu'elle avait
peur de son ombre…
(*) Miroirs d'Eve – Quand des hommes font parler
Dieu à propos des femmes, éd. de l'Harmattan.