On les disait indifférents. On les disait amortis
avant l'âge, accros à leur smartphone et à leur console. On les disait sans
curiosité, sans culture, étrangers au sens critique. Tombés dès leur plus jeune
âge dans la marmite de la consommation, ils paraissaient être le blé vert
levant dans le champ sans cesse grandissant d'une économie devenue
toute-puissante. Indifférents à la chose politique autant que religieuse, ils
incarnaient, aux yeux de beaucoup, la défaite d'une civilisation européenne
fantasmée. Ils et elles, ce sont ces jeunes qui ont pris l'initiative de sortir
de l'école une fois par semaine, non pour s'éclater dans un skate-park ou au
bistrot, mais pour crier leur désir de vivre leur vie adulte sur une planète
sauvée du pire. Ce sont aussi celles et ceux qui se mêlent à leurs parents et
grands-parents lorsque ceux-ci décident, eux aussi, de descendre dans la rue.
Les
appréciations n'ont évidemment pas manqué : acteurs de désobéissance civile,
ont admiré les uns, utopistes ignorants, ont ricané les autres. Tout de suite
les grands mots, de part et d'autre… De toutes parts, signes sans doute d'une
forme d'étonnement face à la survenue inattendue d'une génération que l'on
croyait aphasique, désengagée, repliée sur elle-même. Reproches et moqueries
sont aisées: par définition, la jeunesse, peu ou mal aguerrie, pas encore
étrillée par la rude et difficile réalité du vivre ensemble, a une vision
simple (mais pas forcément simpliste) du réel. Quand les grands-parents de ces
ados, en 68, écrivaient sur les murs "Sous
les pavés, la plage !" ou "Il
est interdit d'interdire", ils affirmaient le maximum, obscurément
conscients qu'il est des situations où, si l'on veut faire un vrai pas, mieux
vaut avoir le désir de faire le tour du monde !
C'est bien
ce que font aujourd'hui ces jeunes – certes pas tous, mais cela aussi, c'est
une constante en temps de crise, tout comme chez les adultes d'ailleurs. Reste qu'il
est pathétiquement navrant de se boucher les oreilles lorsqu'une partie de la
jeunesse fait entendre sa voix, tout comme de ne voir en elle qu'une
opportunité inespérée de se refaire une virginité électorale ! Car
contrairement aux idées reçues, beaucoup de ces "jeunes pour le
climat" retrouvent le sens du collectif et du bien commun ; ils sont
engagés dans les mouvements de jeunesse, dans les associations d'aide aux
migrants, dans des projets multiculturels. Leur avenir, ils ne le dessinent pas
forcément en forme de Monopoly. Ils ont même… des idéaux, ce souffle que
d'aucuns pensaient définitivement épuisé et inutile. A leur manière dramatique,
les jeunes partis rejoindre des combats qu'ils pensaient humanitaires et qui y
ont laissé leurs illusions et/ou leur vie, poursuivaient eux aussi un idéal,
certes dévoyé mais – le redira-t-on jamais assez – la jeunesse est démunie
devant le fonctionnement retors de bien des adultes. Parce ses aînés ont
confondu idéal avec croissance illimitée, progrès humain avec développement
technologique, être et avoir, la machine s'est emballée: toujours plus,
toujours plus vite. Et nous voici comme l'apprenti sorcier, dépassés, inquiets,
tentant de colmater les brèches multiples d'une digue qui risque bien de céder
un jour ou l'autre. Pendant ce temps, d'autres continuent de se voiler la face…
On
connaît la figure des trois singes qui se cachent les yeux, la bouche et les
oreilles. En Orient, ils sont le symbole de la sagesse qui ne veut voir, dire,
ni entendre le Mal. Mais lorsque sur Facebook on les affuble d'un quatrième
larron rivé, lui, à son téléphone portable, ils se transforment dramatiquement
en un certain miroir de l'époque – et contrairement à ce que beaucoup pensent,
cette époque, les jeunes la mettent en cause. À leur façon, qui n'est plus
d'écrire des manifestes ou de créer des cercles de réflexion politique. En
débranchant la prise des appareils distributeurs de sodas dans leur école avec,
sur une feuille : "Prenez votre gourde !" (tiens, les adultes ont-ils
remarqué que cet objet revient en force?). En promouvant des "camp zéro
déchet". En s'achetant une trottinette électrique pour se déplacer. Et
puis, oui, en défilant dans les rues – parce que même s'ils ne sont pas
forcément des cracks en histoire, ils savent intuitivement qu'on gagne parfois
de beaux combats avec ses pieds.
N'oublions
jamais que ce qu'ils défendent, ce n'est pas seulement leur avenir personnel.
C'est l'avenir de l'humanité toute entière.