Il y a peu, lors d'une interview,
l'eurodéputé Philippe Lamberts répondait de manière tout à fait décomplexée aux
questions qu'un journaliste lui posait à propos de ses convictions. Chrétien en
recherche, explique-t-il, il s'efforce de mette en concordance sa foi et sa
vie. Mais qu'on ne se méprenne pas : la foi est pour lui une démarche
spirituelle et non un argument de vente ou un étendard identitaire. Voilà les
choses clairement posées et une cohérence que l'on ne peut que saluer. Ne
reproche-t-on pas tellement souvent à des hommes ou des femmes politiques de ne
pas faire ce qu'ils promeuvent et de creuser la distance entre le dire et le
faire ? C'est pour s'être lui-même adoubé en champion de l'intégrité que le
candidat Fillon se voit aujourd'hui vilipendé…
Mais voilà. Il semblerait que désormais, dans notre
petit pays perpétuellement en quête de consensus et d'improbables équilibres,
le seul fait de parler publiquement d'une conviction religieuse s'apparente au
dévoilement de la honte, à un coming-out provocateur. Tels des poulets affolés
par la présence, en leur enclos, d'un canard au plumage différent, des
internautes (dont il n'est même pas sûr qu'ils aient lu l'interview dans son
intégralité) se déchaînent au nom du principe de la laïcité de l'Etat : J'en tombe de ma chaise ! Réflexion
rétrograde et scandaleuse ! Décevant ! Les masques tombent! Moi, je vote pour
des raisons, pas pour des croyances… D'autres, heureusement, croyants ou
non, gardent leur sang-froid et apportent les nuances bienvenues.
Qu'est-ce donc en effet, sinon un amalgame
grossier, que de confondre la recherche spirituelle d'une personne singulière
avec une volonté de donner à la religion un rôle actif en politique ? Et depuis
quand l'expression de la parole publique, dans un Etat réputé laïc, serait-elle
limitée à ce qu'un consensus mou est capable de supporter ? Lorsqu'une radio
publique, c'est-à-dire financée par les deniers citoyens, entrelarde ad nauseam les infos du matin de
multiples couches de pub, osera-t-on dire qu'elle est parfaitement neutre ?
Vanter les mérites d'un "private banker" ou d'une voiture hors de
prix, cela relève d'une vision du monde et de la vie qui est tout sauf aseptisée
; qu'on adhère ou non à ce credo économique, l'on est hélas forcés de le
supporter tous les jours dès le réveil et il ne semble pas que cela dérange les
gardiens d'une "neutralité" aussi floue que le sexe des anges.
Il faudra donc en finir une bonne fois pour toutes
avec cette conception de la spiritualité
qui la confine à la sphère strictement religieuse - laquelle en effet concerne
d'abord la personne privée même si, redisons-le, s'exprimer en tant que
personne ne revient pas à incarner une idéologie et encore moins un système !
Mais il est vrai que, pour certaines et certains qui ne partagent pas leur foi,
les chrétien-nes sont forcément soumis au Vatican, sont incapables d'avoir une
pensée libre et rêvent de remplacer la Constitution par les Dix commandements…
Les préjugés sont risibles, mais ils ont la vie dure. L'occasion est belle,
alors, de rappeler qu'en latin, le mot "spiritualité" désigne le souffle.
De la même façon que les poumons permettent la respiration vitale, la
spiritualité, c'est ce qui donne du souffle à la vie humaine, ce qui lui permet
de faire du sens, de nourrir un idéal et une espérance. De vouloir une vie
bonne, juste et digne, pour tous les humains. D'être plus grands, en quelque
sorte, que ce que nous pensons et que ce que les vendeurs d'illusions
s'échinent à nous faire croire. La spiritualité, c'est refuser d'être réduits à
l'immédiat et à la matérialité.
En ce sens, il existe beaucoup de chemins
spirituels. Y compris un chemin qui ne se revendique d'aucune croyance. Au
point que l'écrivain Jean-Claude Bologne put évoquer son expérience de mysticisme athée (ce qui lui valut, à
lui aussi, un sévère étrillage de la part d'un laïcisme décidément myope). La question pourtant est bien celle-ci :
est-il possible de porter quelque grand projet que ce soit, y compris
politique, sans gonfler ses voiles intérieures à un souffle assez puissant pour
penser loin et large ? Adenauer, Mansholt, Monnet Schuman… ces "pères de
l'Europe" n'étaient-ils pas habités de ce grand souffle ? A contrario, la
frilosité et le désenchantement, cette sorte d'apnée mentale, ne sont-ils pas
responsables du marigot dans lequel l'Europe semble aujourd'hui enlisée ? La
spiritualité n'est pas une option nécessairement religieuse, c'est un choix
d'humanité et ses sources sont nombreuses et diversifiées. Pouvoir nommer sa
source propre, pouvoir expliquer d'où vient le souffle qui nous habite, ce
n'est pas être prosélyte, encore moins chercher à l'imposer (il fut d'heureux
souffles révolutionnaires qui finirent en atroces tyrannies). C'est tout simplement partager avec d'autres
vivants la joie de pouvoir respirer, la joie d'être "inspirés". Le
souffle, lui, ne connaît nulle frontière.