Pas
besoin d'avoir fait une psychanalyse pour le savoir : le premier mot que l'on
associe à un autre est toujours plein d'intérêt. S'agissant des vacances, c'est
le mot "retraite" qui paraît tout naturellement. Retraite ? N'est-ce
pas mon état permanent depuis que j'ai quitté le monde du travail (salarié,
s'entend) ? Je n'ai pourtant pas l'impression de vivre de perpétuelles vacances
! Il s'agirait plutôt du retour de ces retraites vécues à l'école, de ces temps
de réflexion, de silence, de dépaysement qui nous étaient imposés – et dont je
n'ai perçu que bien plus tard les extraordinaires bienfaits.
Partir
en retraite, c'est se mettre en retrait de la vie quotidienne, se retirer du
jeu. Se recueillir – ailleurs, en soi. Et cela n'a pas, n'a plus nécessairement
une coloration religieuse. Ce que m'ont appris les retraites scolaires, c'est
qu'il faut parfois prendre le temps de refaire ses forces si l'on veut
continuer à marcher dans la durée. Et que plus on prend la vie et le monde à
bras-le-corps, plus il est nécessaire de pouvoir s'en extraire à intervalles
réguliers. Non par découragement ou fatigue, mais pour ne pas donner prise à
leurs valets maudits : rancœur, amertume, cynisme, cruauté…
Et
là, comme on dit, j'ai ma dose ! Entre politiciens qui mangent leur promesse et
pseudo-experts qui brassent les idées reçues, je sens ma citoyenneté s'étioler.
Entre la foule des honnêtes gens qui s'indigne de ce que Michèle Martin
pourrait se trouver un travail et un toit et celle (non moins honnête) qui
défile, larmes aux yeux, devant l'urne cinéraire d'Ani, l'éléphant mort à
Pari-Daiza, je sens ma foi en la démocratie s'urtiquer. Et quand une jeune
femen recourt à des arguments machistes pour justifier que seuls de jolis seins
peuvent mener leur combat ("il est
difficile pour une femme de sortir dans la rue pour revendiquer ses droits
quand elle ne correspond pas aux canons de beauté" !), je sens ma bienveillance
se coincer. Ladite demoiselle ajoute-t-elle : "Les féministes, ce ne sont pas forcément des femmes de 50 ans qui
n'aiment pas les hommes, qui ont des poils et qui sont lesbiennes",
alors là je sens ma tolérance exploser. On peut combattre l'injustice, mais la
fatuité…
Trop.
Trop de tout : de bêtise, de suffisance, de souffrance, d'indifférence. Trop
d'humains exploités, avilis, paupérisés. Ce monde est comme le pied d'un
démarcheur coincé dans la porte de ma conscience : impossible de la refermer.
Seule solution : partir. La retraite. Non pas battre en retraite comme un
caporal vaincu, mais se retirer volontairement loin du bruit et de la fureur.
Loin des lieux touristiques-qu'il-faut-absolument-avoir-vu, mais pas trop loin
des humains non plus. Etre dans son élément, au sens premier : terre ou eau,
air ou feu. Pour moi, ce sera eau et feu, mer et chaleur ; d'autres se
retrouvent grâce à l'air vif des montagnes – chacun sa géographie. L'important,
c'est de se recueillir, de ramener au centre tout ce qui a été dispersé,
mélangé par le désordre quotidien.
Certains
y parviennent sans sortir de chez eux. Je n'ai pas cette capacité. Il me faut
d'autres cieux, plus lumineux, une langue étrangère qui me contraigne à choisir
les mots et m'expose à l'erreur, d'autres senteurs, d'autres coutumes. Pour que
mon GPS intérieur, affolé, ne puisse plus m'indiquer de chemin ni me ramener
automatiquement au domicile connu. Etty Hillesum, l'amie jamais vue et si
proche, savait comme nulle autre créer son espace, sa maison comme elle disait,
en les lieux les plus improbables – jusqu'au camp où elle mourra. Et dans cette
maison, une "chambre haute", où elle trouvait sa part d'éternité,
cette part présente en chaque être humain. Le voilà, le cœur de ma retraite, le
cœur de mon temps de vacance (c'est-à-dire de vide) : réhabiter cet espace intérieur inviolable, le seul
paradoxalement qui me donnera de repartir avec bonheur pour un an de bons
moments et de fichus quarts d'heure.
Myriam
TONUS