Je suis tiraillée entre deux sentiments
contradictoires.
D'un côté, la satisfaction. Quel plaisir :
on parle de nous, les femmes ! C'est toujours bon à prendre… Comme dit l'adage
: "peu importe qu'on parle de moi en bien ou en mal – pourvu qu'on en
parle i"
Mais d'un autre côté, c'est la
perplexité qui vient mettre un bémol à
ce plaisir. Pourquoi faut-il consacrer une attention particulière à une espèce
vivante qui fait plus de la moitié de l'humanité ? Rien de très exceptionnel,
donc… Que l'on consacre une journée aux épicéas menacés par les pluies acides,
une nuit aux chauvesouris ou un week-end à la migration des grenouilles, ça
peut se comprendre. Mais une journée de la femme, une émission sur les femmes
?.. Pourquoi n'y a-t-il pas la journée de l'homme ? Pourquoi ne se
préoccupe-t-on pas des problèmes spécifiques aux mâles ?
La réponse, évidemment, est dans la
question. Etre homme est une évidence
– cautionnée par la grammaire, s'il-vous-plaît, puisqu'en Français, à la
différence d'autres langues, le mot "homme" renvoie inclut non
seulement le genre masculin, mais encore tout être humain, de quelque genre
qu'il soit. "Lhomme est un roseau
pensant", écrit Pascal. "Tous
les hommes sont naissent libres et égaux en droit et en dignité", proclame
la Déclaration Universelle des Droits… de l'Homme. Pour changer un peu, moi je
proposais, il y a quelques années, une version féminisée de ladite déclaration
: "Toutes les femmes naissent libres
égales en droit et en dignité" – déclaration universelle des droits de
la femme. Ca a fait bondir quelques messieurs, offusqués de se voir ainsi
absorbés d'office dans un genre qui n'est pas le leur. Comme s'il était évident
pour nous, les femmes, d'être assimilées ipso facto à nos compagnons !
Assimilation bancale, d'ailleurs. Car
remarquez qu'il a fallu, de fait, écrire une déclaration particulière pour les
femmes (et une, tiens, tiens, pour les enfants) car les droits de l'homme sont
effectivement encore, trop souvent, les droits des êtres humains de genre
masculin. Et si la journée de la femme n'est pas totalement déplacée, c'est
parce qu'hélas, les 364 autres jours
restent, pour tant de filles d'Eve, ici et ailleurs, marqués par le
mépris, la violence, l'exclusion. Et chez nous, trente ans de combat féministe
pour voir encore mourir d'anorexie des gamines persuadées qu'aucun garçon ne
les aimera si elles ont quelques rondeurs… Décidément, le découragement est en
passe de gagner le match…
Qu'est-ce qu'avons-nous donc, nous les
femmes, de si particulier ? Oui, bien sûr, nous portons et mettons au monde les
enfants – ce n'est évidemment pas rien. Pour le reste, une femme est un être
humain comme un homme ! Capable d'autant de courage et d'intelligence, capable
aussi d'autant de lâcheté et de bêtise – ces fléaux sont hélas équitablement
répartis entre les deux genres.
On en revient toujours, quoi qu'on fasse,
à la même hypothèse : s'il est de bon ton de faire de la place aux femmes, c'est
sans doute parce que cette place, beaucoup d'hommes refusent de la leur donner.
Refusent de partager ce qu'ils considèrent comme leur privilège. Mais ce serait
bien injuste de vous adresser ce soupçon puisque la place et la parole, vous
venez de me la donner. Et je compte bien m'y installer !