Avec le langage, l’art
et quelques autres détails tout à fait essentiels, le rire est le propre de
l'être humain. Il a même des vertus thérapeutiques évidentes : il diminue les hormones du
stress, améliore le taux de bon cholestérol et est bénéfique pour le cœur parce
qu'il favorise la dilatation des artères. Sans oublier ce précieux conseil de
Madame de Maintenon : "Souriez,
Mesdames, pour que plus tard vos rides soient bien placées"…
Mais c'est là, très
exactement, que l'humour, cette politesse du désespoir, vient apporter une
bouffée d'air frais, quelque chose comme une odeur de muguet au milieu du
crachin. L'humour, c'est le regard décalé, le pied-de-nez adressé au sérieux,
la conviction qu'il est possible de ne pas se laisser écraser par la lourdeur
de la vie – même si elle est éternelle. Parce que moi, j'ose le dire, il y a
des représentations du paradis qui me font peur… Alors, quand Woody Allen
déclare : "l’éternité, c'est long.
Surtout à la fin…", eh bien ça me fait rire et donc, ça me fait du
bien.
Rire et humour ne vont
cependant pas nécessairement de pair. Lorsque mon chaton fait la chasse à la
souris d'ordinateur, ça me fait rire, mais ce n'est pas de l'humour. Et il ne
manque pas, hélas, d'émissions de radio ou de télé qui se placent sous le signe
de l'humour mais qui ne font pas rire, tant l'humour y est plat, usé ou (pire)
se pratique aux dépens de personnes qui ne peuvent même pas lui répondre.
Parce qu'à la question
: "peut-on faire de l’humour à
propos de tout ?", je réponds : oui – pour autant, pour autant que
l'on ne blesse pas inutilement des personnes singulières. Lorsque Sacha Guitry
lance : "Dieu a créé la femme en
dernier. On sent la fatigue.", je hausse mes épaules de féministe
devant cet exemple de machisme primaire, mais ça me fait sourire, parce que
j'aime les mots d'esprit. Guitry ne visait pas telle ou telle femme en
particulier, lui qui disait aussi : "je
suis contre les femmes. Tout contre"… Et d'ailleurs, si les
belles-mères, les blondes et les grosses (entre autres) devaient se mettre à
pleurer chaque fois qu'on fait de l'humour à leur sujet, il y a belle lurette
que la Wallonie serait noyée.
Un jour un élève m’a
demandé : Est-ce que Jésus riait ? Bonne question !
On aime à souligner que Jésus pleura la mort de Lazare. Quant à savoir s'il
riait, les textes sont là-dessus (comme sur bien d'autres choses) parfaitement
muets. Mais je me dis, en voyant le nombre de fois où il est invité à un
repas, à des noces, qu'il ne devait pas
faire triste figure : vous inviteriez, vous, quelqu'un dont le sérieux et le
manque d'humour rendraient les agapes aussi mornes qu'un repas de diète un jour
d'automne ?
Lorsque Yahvé annonça
à la vieille Sara qu'elle allait avoir un fils dans l'année, elle se mit à rire
! Oui, elle rit de ce qu'elle prenait pour une plaisanterie. Elle rit de
l'humour de Dieu. Il semble que le Créateur ne le prit pas mal, puisqu'il lui permit
en effet de mettre au monde Isaac, dont le prénom signifie : il rira !
La fine pointe de
l'humour, c'est sans doute d'en avoir assez pour rire de soi-même, pour ne pas
crier au scandale, au blasphème ou à la discrimination chaque fois que ce qui
nous paraît, à nous, important et respectable, se voit détourné, parodié ou
même caricaturé. Pourvu que l'intelligence dirige le crayon ou le mot d'esprit
– et ça, bien sûr, ce n'est pas forcément assuré. Goûtons quand même la saveur
de cette béatitude : Heureux celui qui
rit de lui-même. Il n'a pas fini de s'amuser".