Exit 2012. Fin
du spectacle. Douze mois de représentation où alternent comédies de boulevard,
tragédies, meetings, numéros de cirque et même quelques pièces minimalistes où
il ne se passe absolument rien. Pourquoi donc cette impression d'avoir été
spectatrice-voyeuse obligée, plutôt qu'actrice de cette année écoulée?
Eh bien, c'est
qu'il n'est pas si facile d'échapper au spectacle, à ce qui s'impose à voir !
Caméras et micros s'installent désormais sans vergogne à la place de nos yeux
et de nos oreilles : voilà ce qu'il faut voir, voilà ce qu'il faut entendre. Mais
le champ d'une caméra, d'un micro est tellement limité… Comme tout le monde, ou
presque, j'ai vu l'ouverture des jeux olympiques, la réélection d'Obama, le
déferlement de l'ouragan Sandy, les cadavres des guerres ; j'ai entendu les
promesses électorales des candidats et les paroles fielleuses échangées le
lendemain, et l'incantation mondiale devenue quotidienne : "Donnez-nous
aujourd'hui la croissance de demain"… Comment faire autrement que de voir
et d'entendre ? On ne peut pas, à longueur d'année, se boucher les yeux et les
oreilles. J'ai donc reçu, comme tout le monde, ma ration quotidienne
d'événements fragmentés, bruts, déversés sans ordre ni recul. Ma raison est
restée sur sa faim – normal : images et sons ne s'adressent pas à elle. Du
sentiment : voilà ce qu'il nous faut ! Et sur un clavier bien large, de
l'indignation à l'insécurité, de l'apitoiement à l'autosatisfaction. La pensée,
quant à elle, n'a plus qu'à se faire slogan (c'est plus simple, plus court et
on peut le tweeter) : Plus jamais ça ! Vous êtes formidables ! On ne peut quand
même pas tout accepter !.. Et puis, suprême tour de passe-passe, il y a le mot
d'ordre : participez ! Donnez votre avis, téléphonez-nous, rejoignez-nous,
dites-nous ce que vous pensez. Sur tout et n'importe quoi, histoire de vous
faire croire que vous aussi, vous écrivez l'histoire… Un spectacle oui. Et
interactif, en plus! De quoi est-ce que je me plains ?
D'accord, je
suis mauvaise (télé)spectatrice, et comme les gosses, j'aime fouiner dans les
coulisses, derrière les décors, démonter le jouet, quitter l'itinéraire obligé.
Et là, oui, il y a à voir, et à entendre… Et ce n'est plus du spectacle
savamment mis en scène par et pour des acteurs qui ne demandent qu'à s'y
montrer. Un exemple ? Le super-mega-concert donné à New-York par le gratin des
papy-rockers en faveur des sinistrés (américains) de l'ouragan Sandy. En soi,
un beau geste. Mais qu'en pensent les Haïtiens, qui n'en peuvent plus de subir
destruction sur destruction, dans l'indifférence quasi générale ? Pour le
savoir, pour découvrir aussi les trésors de générosité et de courage qui se
révèlent sur cette île, il faut chercher, visiter des sites web alternatifs,
lire, rencontrer des témoins… Une fois sortis du chapiteau où se déroule le
grand show, déconnectés les caméras et micros qui nous colonisent, voici que
s'offre l'histoire, la vraie, celle qu'écrivent au quotidien des femmes, des
hommes de tous âges, toutes conditions, toutes croyances. D'un coup, "la
crise" n'est plus la crise, mais des visages de mères grecques ou
italiennes noyés de larmes parce qu'elles n'arrivent plus à nourrir leurs
enfants. La "croissance" apparaît pour ce qu'elle est : une baudruche
pleine de vent où se fait entendre la voix de l'ami Souchon : "On nous
fait croire / que le bonheur c'est d'avoir / de l'avoir plein nos armoires /
dérision de nous dérisoires"…
Elle est là,
la "foule sentimentale qui a soif d'idéal", partout dans le monde,
dans des lieux très humbles ignorés des flashes et des antennes : des paysans
qui se battent pour sauver leur terre, des infirmières qui partent en maraude
pour prendre soin des sans abri, une religieuse qui vit en roulotte aux côtés
des tsiganes, des jeunes qui organisent dans leur école une pause-café en
faveur des pays du Sud, un prof retraité qui s'en va soutenir une école au
Mali. Et des journalistes, des écrivains, des syndicalistes, des blogueurs qui
sont en prison parce qu'ils ont dit "non" – et des milliers
d'anonymes qui les soutiennent en écrivant aux chefs d'Etat… Ici, les
sentiments ne dégoulinent pas, ils portent : la colère contre l'injustice, la
tendresse pour ce qui est blessé, l'espérance qui n'est jamais si forte que
lorsque le ciel est plombé.
Aujourd'hui et
en 2013 aussi, sans doute, le spectacle continue – show must go on ! Mais
l'histoire de 2012, la grande, la vraie, c'est ailleurs qu'elle s'est écrite.
Alors,
à vos plumes… et belle année !
[Cette chronique est parue dans La Libre Belgique du 03 janvier 2013]