Vous
connaissez, j'en suis certaine, la méthode Coué, du nom d'Emile Coué de la
Châtaigneraie, pharmacien et psychologue de son état, qui, à la fin du 19e
siècle, mit au point une méthode d'autosuggestion.
Le principe
est très simple : toute idée peut se faire réalité. Par exemple, si je pense
"guérison", j'ai davantage de chances d'aller mieux que si je rumine
mes douleurs. Ce qu'on appelle aujourd'hui la pensée positive se fonde sur ce même principe, finalement aussi
vieux que le monde : mieux vaut voir le verre à moitié plein plutôt que le
contraire et il n'y a que la foi qui sauve.
Mais la
méthode du bon Monsieur Coué ne vaut – et c'est déjà pas mal ! – que pour la
part d'action que nous pouvons avoir sur nous-mêmes. On peut se répéter : il fait beau, il fait bon… Lorsque le
gel sévit à -12° comme la semaine dernière, l'efficacité n'est pas assurée. Et
lorsque le bateau coule, il ne sert pas à grand-chose de redire en boucle : ce
n'est qu'un mauvais moment à passer, tout va redevenir comme avant…
Pourtant,
lorsque j'écoute les discours des hommes et des femmes qui aujourd'hui ont en
charge le bien commun – ce qu'on appelle la politique –, je suis perplexe. Cela
ressemble presque à une incantation – vous savez : ces formules que l'on dit et
redit et ressasse comme si elles allaient finalement créer la réalité. Toutes
et tous n'ont qu'un mot à la bouche : la croissance. La croissance : voilà le
but à atteindre, le paradis à retrouver, l'idéal indépassable.
La
croissance… Un mot dont on a l'impression que tout le monde sait ce
qu'il signifie, un mot facile, un mot clair, un mot plein d'optimisme et
d'entrain. Et pourtant… On parle fort à propos de la croissance d'un enfant,
d'un arbre, d'un talent. La croissance est alors un processus qualitatif, un
mouvement qui exprime la vie qui grandit, s'épanouit, se ramifie… Je ne pense
pas que lorsque les cerbères de la dette et les obnubilés du PIB évoquent la
croissance, ce soit ce surcroît de vie qu'ils évoquent. Leur croissance, ce
serait plutôt : acheter plus, consommer plus, avoir plus, toujours plus.
Là, du coup,
il serait plus approprié de parler de prolifération,
ou d'entassement. D'amasser des richesses, comme dit
l'évangile – et non de faire croître l'humanité en ce qu'elle a de meilleur, en
se fondant sur ses aspirations profondes.
"La rigueur pour que revienne
enfin la croissance !" Allez donc dire cela à ces mères grecques qui
élèvent seules un enfant et qui, le cœur déchiré, le conduisent à l'orphelinat
parce qu'elles n'ont plus de quoi le nourrir. Allez donc dire cela à celles et
ceux qui, chez nous, perdent leur emploi
au nom de la sacro-sainte compétitivité.
Je ne suis
pas réaliste ? Tant mieux ! Je ne suis pas pragmatique ? Pourvu que ça dure…
Car le
réalisme, ce n'est plus, je crois, de vouloir revenir un système – celui de la
croissance à tout prix – qui nous a conduits là où nous sommes. Le réalisme, ce
n'est pas de répéter mille fois une chose douteuse dans l'espoir qu'à la 1001e
fois, elle devienne vraie.
Le réalisme,
c'est peut-être d'avoir le courage de regarder en face sa maladie – et notre
société est malade – et de trouver, chacune, chacun et ensemble, la force de
penser : un autre mode de vie est possible, un autre mode de vie est
souhaitable. Monsieur Coué l'a montré : cela peut marcher !